Le dossier de l'affaire Khalifa, qui occupe depuis plusieurs jours le devant de l'actualité nationale, ne suscite aucune réaction officielle. Le respect de l'indépendance de la justice — si tant est que ce soit là la véritable raison qui fait que les hauts responsables de l'Etat s'abstiennent de faire le moindre commentaire sur le procès — n'interdit pas aux institutions de l'Etat, interpellées à un titre ou à un autre par ce scandale, de s'exprimer sur ce dossier. Et de rappeler dans les moments de doute les engagements pris pour faire toute la lumière sur ce procès et la volonté de l'Etat de tout faire pour parvenir à cet objectif. Ceci est d'autant plus indispensable que le procès se trouve à un tournant décisif avec l'audition de personnalités, lesquelles dans leurs témoignages ont mis à nu les dysfonctionnements de structures de l'Etat — la Banque d'Algérie et le ministère de tutelle, en l'occurrence le ministère des Finances, qui ont fait le lit du scandale d'El Khalifa Bank. N'était la presse privée, qui se fait quotidiennement l'écho des auditions du tribunal criminel de Blida, il est difficile pour l'étranger qui débarque en Algérie de savoir qu'un procès qui a nécessité plus de deux ans d'instruction, un procès que de hauts responsables ont qualifié de scandale du siècle occasionnant un préjudice financier de plusieurs milliards de dinars, s'y déroule en ce moment. La seule déclaration officielle enregistrée jusqu'ici fut celle du chef du gouvernement, qui avait exprimé sa détermination à sévir contre les ministres impliqués dans cette affaire si leur inculpation venait à être établie par la justice. Le chef du gouvernement fut presque forcé et contraint de réagir à la suite des développements qu'a connu le procès mettant en cause des membres de son gouvernement. Son intervention aurait pu constituer un moment fort pour prendre date avec l'histoire par des déclarations solennelles encourageant la justice et la magistrate en charge du dossier à faire éclater la vérité, toute la vérité, sur ce dossier. Ni lui ni d'autres cercles du pouvoir n'ont éprouvé le besoin de marquer leur présence et leur autorité dans ce procès pour conforter la justice et accompagner politiquement l'institution judiciaire dans l'accomplissement de sa mission. Une affaire fondamentalement politique Car qu'on le veuille ou non, parce que de hautes personnalités sont impliquées dans ce procès, l'affaire Khalifa est certainement une affaire de droit commun, d'escroquerie, mais c'est aussi (surtout ?) une affaire fondamentalement politique. Si ce n'est pas une affaire d'Etat, comme le clament sans convaincre certains hauts responsables, dont notamment l'ancien chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, c'est à tout le moins une affaire de l'Etat algérien. Il est quand même curieux que cette affaire intéresse plus les Anglais et les Français, si l'on en croit les déclarations de Moumen Khalifa, que l'Etat algérien et ses institutions qui se montrent très distantes et embarrassées à aborder publiquement ce sujet. On a vu en France, dans le débat et la polémique suscités par l'affaire Clearstream, comment le chef de l'Etat, le Premier ministre, le Parlement, la classe politique se sont emparés du dossier dans la transparence la plus totale. Dans le dossier Khalifa, personne ne communique, en dehors des échos qui parviennent du tribunal. L'Algérie est-elle donc entrée dans une nouvelle ère de République des juges ? Au fil des auditions, la magistrate qui juge l'affaire au niveau du tribunal criminel de Blida est en train de démêler l'écheveau inextricable des responsabilités dans ce scandale qui peuvent mener très loin si le cap est maintenu : vers des responsabilités insoupçonnées épargnées par le dossier de l'instruction. Des personnalités convoquées par le tribunal en tant que témoins risquent, à la lumière des auditions de ces derniers jours, de connaître de sérieux démêlés avec la justice si elles n'arrivent pas à convaincre le tribunal de leur innocence ou à passer sous l'effet d'une providentielle protection entre les mailles de la justice. De témoins, ils risquent de se transformer en accusés. On ne sait pas encore jusqu'où la machine judiciaire, qui donne l'impression de s'être emballée ces derniers jours, peut-elle aller ? C'est pourquoi, pour donner du crédit et du sens à ce procès qui a marqué depuis quelques jours des points positifs dans le sens de la recherche de la vérité, il est plus qu'impérieux pour les pouvoirs publics de sortir de leur mutisme en se positionnant par rapport à ce procès qui amorce un tournant décisif avec l'implication de structures et de hauts responsables de l'Etat. C'est maintenant que l'opinion publique a besoin d'entendre et de voir rappeler par les plus hauts responsables du pays la détermination de l'Etat à aller jusqu'au bout dans ce procès et rassurer qu'il n'y aura pas d'intouchables. Le fait de le dire en ce moment précis est un acte politique majeur, même s'il ne faut pas préjuger de l'avenir, car on le sait, en politique, il ne faut jamais jurer de rien.