Le roi Salmane d'Arabie Saoudite a propulsé mercredi son jeune fils Mohammed prince héritier, confirmant son ascension fulgurante dans un contexte de crise ouverte avec le Qatar et d'enlisement du conflit au Yémen. Il a ainsi confirmé une volonté d'ouvrir à la deuxième génération de la dynastie Al Saoud les portes du pouvoir suprême dans ce pays ultraconservateur du Golfe et première puissance pétrolière mondiale. Mais à 31 ans, MBS a la réputation d'être un décideur impulsif. Et son rapprochement avec les Etats-Unis – il fut un des premiers à rendre visite à Donald Trump – fait aussi craindre le pire pour les équilibres dans la région. Pourquoi le prince héritier fait-il si peur ? C'est un homme ambitieux Et pour s'en convaincre, il suffit de regarder son parcours. Nommé ministre de la Défense à 29 ans, le prince Mohammed est devenu l'homme fort du pays après l'accession de son père au trône en janvier 2015. Depuis deux ans, il a concentré toujours plus de pouvoirs : MBS est aussi conseiller spécial du souverain et, surtout, il préside le Conseil des affaires économiques et de développement, organe qui supervise Saudi Aramco, la première compagnie productrice de pétrole au monde. Aujourd'hui âgé de 31 ans, il évince son cousin de 57 ans, le prince Mohammed ben Nayef de son statut de prince héritier, mais aussi de sa fonction de vice-Premier ministre. La mise au ban du Qatar, associant les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte, met en avant le nouveau prince héritier, appelé à contribuer à la gestion de cette crise inédite. Le roi Salmane, 83 ans, étant très affaibli, MBS est de fait déjà souverain. La situation catastrophique dans laquelle se trouve le Yémen lui serait en grande partie attribuable En tant que ministre de la Défense, Mohammed ben Salmane supervise déjà le dossier de la guerre au Yémen qui s'enlise plus de deux ans après l'intervention d'une coalition arabe sous commandement saoudien. Et selon les experts des pays du Golfe, le nouveau prince héritier a largement contribué à «régionaliser le conflit» par une politique agressive. Là où Riyad se serait contenté de verser de l'argent et de l'armement en soutien à certains groupes loyaux au président Abd Rabbo Mansour Hadi (face aux rebelles chiites soutenus par l'Iran), MBS a choisi l'intervention militaire directe et a impliqué les pays de la zone comme les Emirats arabes unis. Les analyses craignent que la situation au Yémen, déjà ravagé par la famine et le choléra, ne s'enlise un peu plus, le pays risquant de devenir un terrain d'expression des différents rapports de force. Il mène l'Arabie saoudite sur la voie de la normalisation des relations avec Israël Selon des anciens hauts cadres du royaume, MBS a accepté ce que personne n'aurait osé accepter avant : une reconnaissance d'Israël. Un canal de communication a été ouvert et la semaine dernière, l'annonce de pourparlers pour instaurer des liens économiques entre l'Arabie saoudite et Israël a marqué un pas significatif dans la normalisation des relations entre les deux pays. Et cette normalisation, qui s'est déjà faite au détriment du Qatar, pourrait aussi toucher directement le Hamas. Début juin, après la crise diplomatique avec le Qatar, le ministre israélien des Affaires étrangères avait déclaré par ailleurs que «la rupture des principales monarchies du Golfe et de l'Egypte avec le Qatar ouvrait la porte à une coopération avec ces pays dans la lutte contre le terrorisme.» Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al Jubeir, et Nikki Haley, l'ambassadrice américaine à l'Onu, cherchent inscrire le Hamas sur la liste noire des terroristes. Il se rapproche de Donald Trump Après son investiture en janvier, le président Trump a clairement signifié que ses partenaires au Moyen-Orient étaient Mohammed ben Salmane (un des premiers dirigeants arabes à rendre visite à Donald Trump à la Maison-Blanche), Mohammed ben Zayed, prince héritier d'Abu Dhabi, et Abdel Fattah Al Sissi, le président égyptien, a-t-il souligné. L'Arabie Saoudite a accueilli avec satisfaction le ton plus agressif de Donald Trump vis-à-vis de son rival chiite, l'Iran, qu'elle accuse d'ingérences dans la région. Pour les observateurs de la région, il ne fait aucun doute que l'approche du président américain, qui a exhorté les Arabes et les musulmans à venir à bout des «extrémistes», en désignant l'Iran comme le «fer de lance du terrorisme», a encouragé Mohammed ben Salmane à rompre avec le Qatar. Une fois la connexion établie avec Washington, le prince Mohammed ben Salmane a su que les Etats-Unis ne s'opposeraient pas à l'éviction de Mohammed Ben Nayef. De nombreux «signaux de Washington, y compris une politique étrangère plus active» ont joué en faveur du prince Mohammed ben Salmane, estime de son côté Frederic Wehrey, du programme Moyen-Orient du Carnegie Endownment for International Peace de Washington. Selon lui, les Saoudiens n'étaient pas en attente d'un «signe de tête des Etats-Unis» mais le réchauffement des relations bilatérales a joué, en plus de facteurs internes.