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Concurrence ou complémentarité de deux gazoducs transafricains en projet ?
Publié dans El Watan le 29 - 06 - 2017


Le projet de gazoduc ouest-africain senior
Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc vient de connaître son premier pas par la signature de l'accord portant étude de sa faisabilité. C'est un espoir à l'actif du développement de l'Afrique qu'il faut saluer car il ne manquerait pas d'améliorer le niveau de vie de millions d'habitants, de promouvoir l'emploi et de contribuer au développement de plus d'une douzaine de pays au moins. Selon ses concepteurs, le nouveau projet de gazoduc est prévu de prolonger le gazoduc ouest-africain existant qui approvisionne actuellement, à partir du Nigeria, respectivement le Bénin, le Togo et le Ghana et dont les mensurations sont les suivantes :
— 678 km de long
— Un diamètre de 20 pouces
— Une capacité maximale de 62 Bcf/an (billion cubic feet), soit 1,8 Bcm/an.
— Un investissement total de 960 millions de dollars.
Depuis 2007, date de sa mise en service, il n'a été utilisé que ces dernières années au tiers de sa capacité. Son fonctionnement reste irrégulier car le Nigeria fait face à une demande croissante de son marché national, d'une part, mais aussi par les nombreux actes de sabotage, d'autre part, mettant en difficulté la production électrique, notamment au Ghana.
Ce partenariat de quatre pays sponsorisé par la Banque mondiale n'a pas manqué de connaître des tensions pour ne pas avoir honoré ses livraisons contractuelles de gaz.
A l'évidence, le nouveau gazoduc en projet aura une longueur de plus de 4000 km, mais sa capacité, dépendante de celle du pipe existant même renforcée par des stations de compression, ne permettra pas d'assurer, simultanément, l'approvisionnement des 12 pays africains qu'il aura à traverser et une exportation significative de gaz vers l'Europe.
Par ailleurs, si les acheteurs sont connus, la mise en œuvre sera laborieuse. Garantir les intérêts des 12 pays concernés dans un gazoduc qui évolue dans un espace non régulé n'est pas chose aisée. L'Europe, sans état d'âme, achètera le gaz le plus compétitif et saura prendre les mesures pour garantir ses intérêts.
Le TSGP, échec ou opportunité ?
Avant de présenter le TSGP, rappelons comment l'Algérie, qui n'est pas demanderesse de gaz, s'est lancée dans ce projet.
Au début des années 80', le potentiel de gaz nigérian commençait à s'affirmer, l'option de son évacuation par voie terrestre via le Niger et l'Algérie a été envisagée par le Nigeria.
A la demande de ce dernier, l'Algérie a autorisé, sur son territoire, l'étude de faisabilité confiée à Bechtel. Le développement des gisements arrivant plus tard, la voie GNL a été retenue. L'Algérie, de mon point de vue, mue par servir une ambition africaine d'intérêt mutuel, avait repris cette opportunité dès 2002 avec les objectifs principaux suivants :
— assurer le développement de la sous-région pour fixer les populations et renforcer la sécurité ;
— investir à long terme au Nigeria dont le potentiel minier est prometteur ;
— donner de la flexibilité aux exportations d'un pays africain frère ;
— renforcer le club des pays producteurs pour juguler la pression sur les contrats à long terme de gaz ;
— conforter ses engagements internationaux ;
— en fin de cycle, régénérer, éventuellement, les gisements en déplétion, etc.
Il faut dire que la proposition de demander, dès 2002, au minimum 20 Bcm/an alors que le Nigeria qui n'en produisait que 14 Bcm était aussi audacieuse que risquée, permettant à nos détracteurs de conclure que l'initiative de l'Algérie visait à neutraliser un concurrent au potentiel prometteur.
L'histoire retiendra que notre expertise était juste puisque le Nigeria en produit plus de 50 Bcm/an actuellement et que la coopération dans ce projet comme dans l'exportation du GNL entre les deux pays est, le moins que l'on puisse dire, exemplaire. L'objectif du projet TSGP visait le transfert du Nigeria via le Niger et l'Algérie d'un volume de gaz de 20 à 30 Bcm/an (billion cubic meter/an = milliards m3/an) destiné exclusivement à l'Union européenne.
Son étude de faisabilité, finalisée en 2006, préconisait un gazoduc très particulier :
— Longueur 4200 km.
— Un diamètre exceptionnel de 48 à 56 pouces.
— 15 stations de compression de 3*25 MW chacune, soit :
— Une puissance installée de 1075 Mégawatts.
— Une capacité de transport du gaz de 714 à 1000 Bcf/an (20 à 30 Bcm/an).
Soit une capacité plus de 10 fois celle du gazoduc ouest-africain existant, faisant que le montant de l'investissement était si important qu'il incitait à la prudence.
L'étude prospective, s'appuyant sur les données notamment de l'AIE et l'institut d'Oxford des études de l'énergie, concluait que la demande en gaz de l'UE 15 connaîtrait dès 2016 une croissance de 1,4 à 2,7% par an avec un déficit abyssal en 2030 de 425 Bcm pour les considérations suivantes :
— le marché de l'UE 15 (Europe de 15 pays) sur la période 2010–2030 prévoyait :
— la baisse de la production locale du gaz de 210 à 45 Bcm/an.
— La réduction des approvisionnements CLT de 300 à 130 Bcm/an.
— Et un accroissement significatif de la demande de 510 à 600 Bcm/an
De plus, l'importance des enjeux attendus de l'élargissement de l'Europe, la taille des investissements et l'évolution favorable du différentiel offre/demande conférait à l'économie du projet un retour sur investissement suffisant assurant la viabilité financière et économique du projet sous tous les scénarios. Même au prix du gaz à la frontière de l'EU 15 correspondant à 30 dollars le baril (2006), les prix (netback) restaient positifs.
En règle générale, ce genre de lourds investissements nécessite, pour partager le risque, plusieurs sponsors et plusieurs types de financements. C'est d'autant plus vrai encore lorsqu'il s'agit d'un gazoduc qui s'érige de fait en monopole naturel. C'est pourquoi, en plus des différents investisseurs habituels institutionnels, les promoteurs, les producteurs, les banques, etc., la participation des acheteurs de gaz dans le capital est une condition indispensable pour couvrir les risques durant toute la période d'amortissement de l'ouvrage, en général de 30 ans.
Si les trois pays africains concernés étaient déterminés, les partenaires producteurs du Nigeria n'étaient pas excités.
Si ceux engagés dans l'approvisionnement des marchés américain et asiatique ont raison de continuer les exportations avec l'option GNL, les Européens, même s'ils conviennent de la viabilité de la voie terrestre en projet, sont restés dans l'expectative. Certainement tenus de suivre la décision de l'UE.
L'Union européenne qui aspirait à diversifier davantage ses approvisionnements de gaz pour en atténuer sa dépendance à l'égard de la Russie n'a pas, comme dans le Medgaz, apporté un soutien concret à ce projet. Au même moment, l'UE et ses démembrements engagés dans le chantier de la dérégulation des marchés de l'énergie et de l'efficacité énergétique pressaient leurs opérateurs de :
— démanteler les contrats à long terme ;
— exiger de façon récurrente, au besoin par des procédures d'arbitrage, la modification des mécanismes de fixation des prix pour un alignement total sur les références des hubs gaziers ;
— engager une forte compétition par l'utilisation des énergies renouvelables et du charbon, etc.
Cette politique, résolument conduite pour contenir la consommation du gaz, couplée à une croissance durablement molle de l'économie européenne, a réussi à inverser la tendance puisque la consommation de gaz de 2015 sur le marché européen est inférieure à celle de 2002.
Il faut ajouter à cela le bouleversement du marché international de l'énergie qui sous l'impulsion d'opportunités comme le développement accéléré des énergies renouvelables et la production précoce, dès 2008, des hydrocarbures non conventionnels a dissuadé beaucoup d'investisseurs, notamment ceux des projets à long terme et par voie de conséquence ceux du TSGP, laissant entière la problématique commerciale du gaz de ce projet.
Au plan technique, c'était une coopération des plus enrichissantes conduites avec professionnalisme par les équipes de Sonatrach, de Nigeria National Petrolum Company (NNPC) et en partie du Niger. Au plan de la réalisation, chaque pays restait responsable de son tronçon. Nigeria (1030), Niger (850 km) et l'Algérie (2350)
Sonatrach s'était préparée à réaliser les 3200 km de la partie nord. A titre d'exemple, depuis 2005 à ce jour, l'Algérie a réalisé au sud du pays par ses propres moyens plus de 5000 km de gazoducs similaires. (GR3, GR4, GR5, et GR6). Quant à la problématique sécuritaire, qui est aujourd'hui planétaire, elle n'a jamais été sur le chemin critique de la décision finale d'investissement. Les trois pays – Nigeria Niger et l'Algérie – soutenaient le projet et la coordination conjointe en la matière n'a émis aucune réserve particulière.
La revue ci-dessus montre bien qu'il n'y a aucun antagonisme ou concurrence directe entre les deux ouvrages, et que si la demande internationale de gaz à long terme était restée vigoureuse comme le prévoyaient toutes les institutions spécialisées au début des années 2000, la réalisation du TSGP aurait été déjà une réalité. L'opposer au projet TSGP (Trans Saharan Gas Pipeline) Nigeria-Algérie est un non-sens tant les objectifs comme les configurations et le niveau des investissements y afférents sont totalement dissemblables.
Le TSGP par sa grande capacité, sa vocation de transfert vers la destination unique, l'Europe, le peu de pays de transit (2) et la synergie que lui offre le réseau algérien connu pour son étendue et sa fiabilité peut prétendre à une compétitivité meilleure.
A l'inverse, le gazoduc ouest-africain projeté semble avoir une vocation distributive en approvisionnant d'abord les 12 pays de transit, et accessoirement l'Europe. Sa compétitivité restera suspendue à sa modeste capacité et à l'épreuve de sa fiabilité. La perspective insaisissable du marché actuel de l'énergie et l'effondrement de ses prix justifie amplement que l'absence des acheteurs dans le TSGP est une réalité objective qu'il faut accepter.
Bien plus, il faut être fier de cette opportunité forte, aux objectifs nobles au service de tous ses partenaires qui a été conduite de façon professionnelle tant par nos services techniques que par le soutien inlassable de notre diplomatie qui, faut-il le rappeler, a permis au TSGP de figurer dans les priorités du Nepad.
L'Algérie est hautement qualifiée dans cette industrie pour apprécier ses intérêts à leur juste valeur, loin de toute émotion.
Elle dispose d'une longue expérience et d'un réseau parmi les plus importants dans le monde (plus 24 000 km de réseau de transfert et de plus de 50 000 km de réseau de distribution) juste derrière la Chine, les USA, le Canada et la Russie.
Aujourd'hui que son potentiel de gaz se réaffirme par l'avènement des formidables réserves d'hydrocarbures non conventionnels (3e dans le monde), qu'il ne faut surtout pas tarder à développer, justifie le sens de la mesure dans la décision du TSGP.
L'Afrique, à l'instar des autres continents développés, finira par avoir un jour ses réseaux de gaz et ses interconnexions. Le TSGP, à défaut de se réaliser, n'en restera pas moins, une référence.


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