Depuis leur mise en œuvre au début des années 2000, les avantages fiscaux et douaniers accordés dans le cadre du dispositif SKD-CKD (produits semi-finis) et CKD (produits finis) n'ont été avantageux qu'aux opérateurs qui en ont bénéficié au détriment du développement industriel, mais aussi du Trésor public, saigné à longueur d'année. Un constat accablant a été fait hier par le ministre de l'Industrie et des Mines, Mahdjoub Bedda, lors d'un conseil interministériel consacré justement à l'industrie du montage. Le SKD-CKD, a rappelé le ministre, «est un régime préférentiel d'avantages fiscaux accordés au moment de l'importation d'un produit démonté et composé de sous-ensembles (SKD) ou d'un produit complètement démonté (CKD)». Or, l'étude élaborée par un groupe d'experts, installé récemment pour passer au peigne fin le dispositif, a fait état de «nombreux dysfonctionnements» qui ont poussé le premier responsable du secteur à plaider pour une «refonte profonde» de ce système dont profitent quelque 60 opérateurs économiques, en disant : «Il est urgent de revoir en profondeur la politique des avantages fiscaux accordés dans le cadre du dispositif SKD-CKD, qui a non seulement diminué les recettes budgétaires de l'Etat, mais aussi les réserves de change sans atteindre les objectifs prévus. Actuellement, quelque 60 opérateurs économiques émargent au dispositif SKD-CKD pour 20 000 emplois (…) mais le taux d'intégration moyen ne dépasse pas 20% hors filière automobile, tandis que le taux de couverture du marché se situe entre 35 et 40%. Je tiens à préciser d'abord que l'intégration n'est pas une fin en soi. Elle n'a de sens que si elle contribue à l'amélioration de la compétitivité des entreprises.» Pour le ministre, les conclusions de l'enquête des experts sont révélatrices. Elles démontrent que l'application de ce régime a engendré un manque à gagner considérable au Trésor public, «passé de 27 milliards de dinars en 2015 à 40 milliards de dinars en 2016. Pour les cinq premiers mois de l'année en cours, ce manque à gagner en matière de droits de douane a atteint plus de 20 milliards de dinars. A l'inverse de ce qui était attendu du dispositif SKD-CKD, les importations en termes de valeurs de kits d'assemblage et de montage n'ont cessé d'augmenter durant ces trois dernières années pour atteindre près de 2 milliards de dollars en 2016, contre plus de 1,42 milliard de dollars en 2015, et plus de 851 millions de dollars en 2014. Durant les cinq premiers mois l'année en cours, le montant a déjà dépassé un milliard de dollars. Même si ce régime est destiné à substituer aux importations, ces filières (automobile, électroménager…) ont un recours incessant à la devise (…).» N'y allant pas avec le dos de la cuillère, le ministre fait remarquer que ce dispositif «devait contribuer à l'amélioration de la compétitivité industrielle et l'exportation ; or, aucun de ces objectifs n'a été atteint». Il argumente : «Les exportations sont restées quasi nulles avec des montants ne dépassant pas les 45 019 dollars en 2014, 69 239 dollars en 2015 et 314 185 dollars en 2014. Pour les cinq premiers mois de 2017, ce montant est estimé à 146 922 dollars.» Pour le ministre, la contribution de cette filière en matière d'emplois est qualifiée de «très faible puisque durant l'année 2016, elle a occasionné un manque à gagner équivalent à la création de 70 000 postes d'emploi à raison de 50 000 DA/personne». Et il n'y a pas que ce volet. L'automobile, un autre secteur qui saigne le trésor public… En matière fiscale, le secteur n'a également rien rapporté au Trésor public puisque de nombreuses «incohérences» de taux de droits de douane «sont constatées». «Ainsi, la majorité des produits importés dans le cadre du dispositif SKD sont taxés au même titre que le produit fini. A cet effet, la définition d'un principe de taxation douanière graduel prenant en compte le mode de présentation du produit (produit en CKD, produit en SKD, produit fini) est utile et nécessaire à l'effet d'encourager les industries de montage et défavoriser l'importation du produit fini.» Cette situation n'est pas le propre de l'électroménager, mais aussi du secteur de l'automobile. «L'importation des collections destinées à l'activité de montage de véhicules (SKD), exonérée de droits de douane en vertu des dispositions de la loi de finances 2010 est passé de 6,82 milliards de dinars en 2015 à 13 milliards de dinars en 2016, et 8,24 milliards de dinars durant les cinq premiers mois de l'année en cours. Les importations de collections SKD destinées à la filière de l'industrie mécanique (tracteurs, bus, véhicules de tourisme et véhicules de transport de marchandises) ont bondi de plus 81 millions de dollars en 2015 à plus de 473 millions de dollars en 2016. Elles ont atteint plus de 815 millions de dollars durant les cinq premiers mois de 2017. Pour les véhicules de tourisme, les importations des kits d'assemblage ont dépassé 277 millions de dollars en 2016, contre plus de 27 millions de dollars en 2015.» Le ministre dresse un constat assez troublant. «Les prix des véhicules sortis d'usine étaient relativement élevés malgré les avantages fiscaux accordés.» De ce fait, il propose au gouvernement que l'octroi et le renouvellement des autorisations soient «subordonnés» à la question des prix des véhicules. Devant un tel constat, une batterie de mesures a été présentée au gouvernement. Parmi celles-ci, l'instauration de conditions d'accès au dispositif CKD-SKD qui portent essentiellement sur l'investissement et la création d'emplois, la limitation de la durée des avantages fiscaux accordés actuellement pour une durée indéterminée, et surtout de subordonner le renouvellement aux avantages du régime SKD-CKD à l'exportation d'une partie de la production. Se référant toujours aux recommandations du groupe d'experts, le ministre souligne «l'importance de l'indispensable mise en place d'un mécanisme de suivi et de contrôle multisectoriel composé des ministères de l'Industrie et des Finances (Douanes et Impôts)», pour faire en sorte que le dispositif atteigne les objectifs pour lesquels il a été mis en œuvre. «Il n'est pas question de bloquer l'ensemble des opérateurs qui bénéficient de ce dispositif. Bien au contraire, ceux qui travaillent en règle seront aidés et encouragés.» Aujourd'hui, une réunion est prévue avec les responsables des PME-PMI pour discuter des problèmes auxquels ils sont confrontés. Il est certain que des mesures concrètes devront sanctionner cette rencontre. «Nous allons encourager le secteur de la transformation à travers des actions concrètes en direction de ceux qui veulent investir ce sergment d'activité et bien d'autres. Il n'est plus question de continuer à travailler dans un environnement dépourvu de réglementation et marqué par des dysfonctionnements…», nous a déclaré hier, le ministre de l'Industrie, à l'issue du conseil interministériel.