Le monument de l'athlétisme, seulement 3e derrière Gatlin (9''92) et l'Américain Christian Coleman (9''94) avec un chrono de 9''95, a donc vu la grande fête promise gâchée par un coureur au passé sulfureux, qui ajoute à son casier un crime de lèse-majesté dans l'enceinte surchauffée du stade olympique. Le Jamaïcain de 30 ans jouait sa réputation, celle d'un athlète hors du commun ayant marqué l'histoire de son sport. Il savait qu'un revers pour sa dernière apparition sur la ligne droite aurait forcément fait tache. Le coup de grâce est arrivé par la faute de Gatlin, que personne souhaitait secrètement voir revenir au sommet. «Je suis resté très concentré, après tout ça j'ai réussi à gagner, c'est incroyable, Usain a tellement apporté à notre sport, il nous a tellement inspirés, et d'être ici à ce moment de ma carrière, c'est énorme. Est-ce que je mérite ces huées, ce n'est pas à moi de le dire», a lâché Gatlin. Auteur d'un départ médiocre, l'octuple champion olympique n'a jamais vraiment maîtrisé la course et son retour a été trop tardif pour empêcher Gatlin de l'emporter de peu. L'homme le plus rapide du monde (9''58 sur 100 m, 19''19 sur 200) craignait pour sa mise en action, après avoir pesté contre des starting-blocks, pas assez fermes à son goût, la veille à l'issue des séries. Il n'a pas eu à trouver d'excuses après cet échec cruel mais finalement logique au vu de sa forme. Les craintes nées après son début de saison poussif (trois petites sorties seulement et un seul passage sous les 10 secondes), plus en forme de tournée d'adieux que d'une vraie préparation, se sont ainsi vérifiées au pire moment. Le «roi» est donc tombé, mais ce régicide n'a pas altéré le sourire éternel de celui qui restera, quoi qu'il en soit, le plus grand sprinteur de tous les temps. Bolt n'est plus celui qui écrasait tout sur son passage avec des chronos venus d'ailleurs, mais ce dénouement a finalement des allures de soulagement pour un sportif qui a dédié sa vie à son sport dès le plus jeune âge. «Je suis désolé de ne pas avoir pu terminer sur une victoire, mais je vous remercie pour votre soutien», a lancé à la foule celui qui a tout de même été le héros de la soirée, même dans la défaite, et qui, beau joueur, a offert une accolade de bonne grâce à son bourreau. Même dans la tristesse, Bolt a fait son show, prenant des selfies avec le public, drapé du drapeau jamaïcain, et exécutant son fameux geste de l'Eclair à satiété, pour le plus grand bonheur du public londonien. La légende du sprint a sorti sa panoplie pour communier une dernière fois avec les spectateurs. Avant la retraite dorée qui l'attend, Bolt a prévu un ultime récital sur le relais 4×100 m, dont la finale aura lieu le 12 août. Nul doute qu'il aura à cœur de quitter définitivement la scène sur un dernier sacre. Pour rester fidèle à sa légende.