Introduction L'industrie des assurances dans le monde est un puissant levier de collecte de ressources financières qui sont injectées dans les économies sur des cycles moyens et longs. Le taux de pénétration de l'assurance dans le PIB mondial a été de 6,2 % en 2015 avec un volume total de primes de 4553,78 Milliards de dollars US (revue Sigma Swiss Ré N°0/2016). Dans les pays musulmans, la demande d'assurance demeure très faible. En plus de l'absence d'une culture d'assurance inhérente, entre autres, à l'ignorance de la notion de risque et à son transfert vers la fatalité, la perception négative de l'assurance dans les sociétés musulmanes repose sur son assimilation à l'usure et aux jeux de hasard prohibés par la foi musulmane. Environ 25% de la population mondiale est musulmane. La majorité de cette population vit dans des pays à revenu moyen très faible. Des études indiquent que la population de ces pays augmentera de 36,9% en 2050, tandis que la croissance de la population pour la même période dans les pays industrialisés ne sera que de 9,2% (Fonds des Nations unies pour la population 2010). Le modèle «Takaful» pourrait apporter une réponse favorable au développement de l'assurance et de la microassurance dans ces sociétés musulmanes. L'assurance Takaful est un élément essentiel de l'écosystème financier islamique dont l'expansion à travers plus de 300 institutions financières et les actifs gravitent autour de 1000 Milliards USD dans plus de 75 pays. Son encours représente seulement 1 % de la finance classique. Néanmoins, on note depuis cinq ans une accélération significative de son développement. Selon les projections d'Ernest Young, l'encours de la finance islamique pourrait atteindre plus de 4500 milliards de dollars en 2020. D'après «The World Takaful Report 2014, Ernest and Young», l'industrie Takaful dans le monde avait connu un taux de croissance de 14,6% en 2014, avec un chiffre d'affaires de 14,1 milliards USD contre 12,3 en 2013. Le chiffre d'affaires potentiel de cette industrie pourrait atteindre 20 Milliards USD en 2017, selon les estimations de ces spécialistes. En outre, des pays occidentaux (Grande- Bretagne, Allemagne, France…) ont adopté ces systèmes de finance participative, Takaful et Retakaful, afin de proposer des offres financières et assurantielles appropriées aux différentes cibles musulmanes de leurs marchés et à leurs partenaires. A titre d'exemple, notons qu'en 2014, la Grande-Bretagne est devenue le premier pays émetteur de Sukuks en dehors des pays musulmans, avec une émission de 323 millions de dollars qui a été 12 fois sursouscrite. La problématique abordée dans la présente contribution vise à mettre en exergue quelques exemples dans le monde, les voies et moyens de stimulation de la demande d'assurance des populations algériennes à faibles revenus, à travers des solutions de microassurance adaptées au modèle takaful, afin de les sensibiliser, les soutenir et les responsabiliser sur la nécessité de l'assurance, car l'Etat, en ces temps de crise, ne pourra plus continuer à indemniser indéfiniment des dommages non assurés, résultats de risques aléatoires (catastrophes naturelles incendie, sècheresse,..). 1-Les grands aspects de la microassurance «La Microassurance est un mécanisme de protection des personnes à faibles revenus contre les risques (accident, maladie, décès, catastrophe naturelle…) en échange du paiement de primes d'assurance adaptées à leur besoin et niveau de risque. Elle cible principalement les travailleurs à faibles revenus des pays en voie de développement, particulièrement ceux qui travaillent dans le secteur informel qui sont souvent mal desservis par les assureurs commerciaux et les systèmes d'assurance sociale» BIT, Fonds pour l'innovation en Microassurance (2008). Selon une étude de la Banque mondiale, le critère de population à faible revenu varie entre 1,25 USD et 4 USD par jour. C'est à cette tranche de la population que s'adresse la microassurance qui permettra ainsi de réduire la vulnérabilité des classes sociales pauvres et de sécuriser leurs revenus. Sur les 4 milliards d'êtres humains vivant dans les pays en développement avec moins de 2 dollars par jour, à peine dix millions sont couverts contre les aléas. En effet, seulement 5 à 10 % de la population disposent d'une protection formelle contre des risques tels que la maladie, le décès, les accidents, les catastrophes naturelles, la perte de récoltes et/ou de biens entraînant une perte de revenus qui se traduit par l'endettement et une vulnérabilité accrue. 1.Quelques données sur la microassurance dans le monde Près de 500 millions de personnes à faible revenu bénéficiaient en 2011 des mécanismes de microassurance dont le marché a été multiplié par plus de sept fois en six ans. Le continent asiatique reste de loin le marché le plus dynamique avec un taux de couverture de 10,3% de la population. Il compte 400 millions de personnes assurées, ce qui représente 80% du marché mondial de la microassurance. En 2010, le Brésil devint le marché le plus dynamique de l'Amérique du Sud avec environ 30 millions de microassurés. Bien que la microassurance enregistre en Afrique un taux de croissance annuel à deux chiffres (13% hors Afrique du Sud) et compte 25 millions d'assurés, la grande majorité du marché reste inexploitée. L'OIT évalue le potentiel de micro- assurance à près de 700 millions de personnes. 2. Les acteurs de la micro- assurance Depuis son avènement, la microassurance a été souvent considérée comme un simple complément du microcrédit. Néanmoins, compte tenu des expériences vécues dans le monde, cette notion a évolué vers un domaine assurantiel populaire. Elle est pratiquée par une variété d'acteurs formels et informels. Le point commun des acteurs suivants est de favoriser l'accès à l'assurance d'un plus grand nombre de populations à faibles ressources : -Les mutuelles et les organisations à assise communautaire -Les institutions de micro finance -IMF -Les assureurs commerciaux et takaful -Les organisations gouvernementales -Les assureurs «informels» (tontines) -Les réassureurs 3.Expériences en microassurance dans différents pays En Inde, des assureurs publics proposent via un partenariat avec des institutions de micro finance, des produits de microassurance vie, santé, et mortalité du bétail. -Des réassureurs de renom (Interpolis Re, Munich Ré, Swiss Re) ont déve-loppé des programmes pilotes dans des pays asiatiques ((Inde, Sri Lanka, Cambodge, Philippines). Des programmes-pilotes d'assurances agricoles indicielles, couvrant des risques climatiques et impliquant des réassureurs, ont été envisagés. -Au Brésil, la microassurance comptait en 2009 23 à 33 millions d'assurés sur un marché potentiel de 128 millions de clients. Elle est distribuée majoritairement par les grands assureurs commerciaux. Les canaux de distribution les plus utilisés sont les banques, les autres institutions financières, les détaillants, et la vente directe, des opérateurs mobiles, les syndicats, les coopératives et les courtiers. -Un exemple innovateur en Inde: Depuis 2008, la société MNYL propose un produit d'assurance-épargne et vie unique pour lequel les bénéficiaires sont en mesure de recharger leurs primes d'assurances à la manière de l'achat de crédit pour un téléphone mobile. La procédure d'achat de polices d'assurances est très simple : elles sont en vente libre dans les mêmes lieux. Un formulaire d'une page pour lequel doit être présentée une pièce d'identité et le paiement d'une prime minimum d'engagement (soit de 20 à 50 USD). A travers cette innovation, la compagnie pionnière vise ainsi une couverture de trois millions de foyers à faibles revenus. Quelques exemples de microassurance agricole dans les pays du Sud L'émergence de la Microassurance est donc propice pour les petits agriculteurs. Il s'agit d'assurances au coût abordable, proposées par des instituts de microfinance (IMF), des ONG ou des coopératives. Elles sont moins chères parce qu'elles concernent des groupes et sont associées à d'autres produits tels que crédit ou engrais. Dans des lieux reculés où les producteurs sont très dispersés, le regroupement des assureurs selon un mécanisme de pooling peut permettre de faire baisser les primes en tenant compte de leur mutualisation et de la sinistralité des risques assurés. -En Inde, le secteur privé fournit déjà une micro-couverture pour les cultures et le bétail, la santé et les biens. Dans un projet pionnier, l'IMF locale BASIX s'est appuyée sur son réseau pour fournir la microassurance et a réassuré son portefeuille chez ICICI Lombard. -Au Malawi l'ONG Opportunity International s'est associée à la Banque mondiale pour assurer les producteurs d'arachide contre le risque climatique. Dans le cadre du Programme des produits agricoles de base «Tous ACP» financé par l'UE (45 millions euros), la FAO, le Groupe de travail de la Banque mondiale sur la gestion des risques liés à ces produits et d'autres organisations analysent la gestion du risque en agriculture. Le projet couvre l'Éthiopie, Madagascar, le Malawi, l'Ouganda et la Tanzanie. Selon Piero Conforti, économiste à la FAO, «l'assurance agricole peut aider les petits agriculteurs à réduire les risques encourus et à améliorer leurs revenus, mais elle peut entraîner de gros frais de transaction. L'assurance à coupons est une façon de réduire ces frais». Contrairement aux polices d'assurance classiques qui exigent des preuves des dégâts, les polices à coupons utilisent des critères météorologiques pour déclencher l'indemnisation
-En Éthiopie, un projet développé avec le réassureur AXA Re fournit au Programme alimentaire mondial (PAM) une couverture pour le compte des cultivateurs de maïs. Si les précipitations sont inférieures à un niveau donné, le PAM reçoit une indemnisation qu'il convertit en aide. II. Exemples de Microtakaful dans le monde Pour assurer une meilleure accessibilité de l'assurance aux populations pauvres, quelques opérateurs Takaful s'étaient intéressés depuis plusieurs années à ce marché à faibles revenus. Les exemples les plus notables sont enregistrés dans les pays où la quasi-totalité de la population est musulmane et dans lesquels la pauvreté est omniprésente. -En Indonésie, un opérateur takaful «ATK» a collaboré avec une institution religieuse nationale à élaborer un système Microtakaful pour les pauvres récepteurs de l'aumône (Zakat), la prime de cette couverture est de 5 USD dollars pour un capital de 530 USD dollars en cas de décès pour cause naturelle et 2.655 USD dollars par accident. ATK fournit des assurances Groupe crédit-emprunteur conformes à la charia aux microentreprises. -Au Bangladesh, une compagnie d'assurance vie Takaful avait lancé un produit collectif Microtakaful épargne et prévoyance pour des groupes à bas revenus, couvrant des garanties décès, frais funéraires, rente temporaire immédiate. – En Malaisie, la première expérience en Microtakaful a été introduite à l'initiative du gouvernement malaisien en 2010 à travers la mise en place d'un plan de protection (Malaysia Micro Plan-MMPP). Le plan qui est adossé aux opérations de micro crédit financées par les banques, vise des groupes à faible revenu, particulièrement les petites entreprises et les clients de la micro-finance sur la base d'une participation volontaire. Huit assureurs-vie et dix compagnies d'assurances dommages offrent ce programme dans le marché. Trois compagnies Takaful participent dans ce projet. La Banque Negara a développé un plan de protection général qui fournit aux micro-entreprises et aux particuliers des couvertures d'assurance à partir de 6 USD dollars par mois. En 2011, «Etiqa Takaful Ikhlas Takaful» a mis en place un régime Microtakaful pour les domestiques indonésiens avec une prime de départ à 23 USD dollars par année. III. Perspectives pour une solution Microtakaful adaptée au marché algérien En Algérie, le marché de l'assurance a réalisé en 2015 un chiffre d'affaires de 1,55 Milliard USD avec un taux de pénétration de 0,70 % du PIB et une densité d'assurance (prime par habitant) de 32,57 USD (rapport du ministère des Finances sur les activités de l'assurance en Algérie 2015). Face à un marché potentiel très porteur et inexploité, et malgré la présence d'innombrables segments de marché à excédents de ressources composés par les couches aisées de la population et les classes moyennes, la faible pénétration de l'assurance dans l'économie pose une véritable problématique. Cette équation sera certainement davantage exacerbée si on évoque la demande d'assurance des couches sociales à ressources limitées. Pour cette catégorie, la microassurance pourrait être une alternative appropriée, à condition qu'elle soit adossée aux principes du Takaful afin de répondre aux inquiétudes d'une population musulmane soucieuse de préserver les principes de sa foi, et à des canaux de distribution adaptés à ces populations. 1-Marchés cibles de la microassurance et Microtakaful Sachant que le PIB moyen par habitant était de 4345 USD en 2015, les salaires moyens des populations payées au SMIG qui constituent une grande part de la population active, expliquent leur faible pouvoir d'achat. Le non-accès à l'assurance de ces populations auquel il faudra ajouter les 1.337.000 chômeurs et les jeunes entrepreneurs des dispositifs de soutien et de création d'emploi prôné par les pouvoirs publics, à savoir: – Les bénéficiaires du dispositif ANGEM – Le dispositif CNAC – Les jeunes entrepreneurs du dispositif ANSEJ – Les petits salariés… Ces populations modestes constitueront autant de cibles pour la micro assurance. 60 % de l'ensemble de la population est le marché cible visé à court et moyen terme par la micro assurance incluant les TPE et PME. L'agriculture est un facteur important de l'économie de l'Algérie. Elle génère, en incluant les industries agroalimentaires, près de 11% du PIB. Le secteur agricole emploie 10,8% de la population active. Les petites exploitations de moins de 10 ha dominent largement puisqu'elles représentent 70% environ de l'ensemble des exploitations. Il existe un réel besoin d'assurances en Algérie ainsi qu'un fort potentiel. En ce sens, la micro assurance adossée au Takaful apparaît comme une opportunité de solution dans la couverture de tous les risques.
2.Les conditions de développement du Microtakaful en Algérie A la lumière des potentialités exposées, les perspectives de croissance du marché de la micro assurance – Microtakaful en Algérie sont prometteuses, dans la mesure où les créneaux porteurs de potentialités demeurent quasiment vierges. Néanmoins, la croissance de ce marché demeure tributaire des conditionnalités ci-après : – Le soutien de l'Etat durant une certaine période dans la subvention des primes d'assurances des populations vulnérables participant aux cycles productifs de l'économie, afin de générer une demande d'assurance à moyen et long termes de leur part. – L'actualisation de la réglementation du secteur des assurances de façon à y intégrer une nouvelle catégorie de produits de «microassurance» présentant un risque systématiquement inférieur. – L'instauration de l'assurance indicielle en risques agricoles; les contrats seront souscrits sur la base de périls ou d'évènements spécifiques (perte de rendement, sécheresse, inondations, mortalité du bétail, désastres naturels), bien définis, facilement circonscrits ou mesurables à un niveau régional. Les différents indices seront donc mesurés à partir des données au niveau de toute zone agronomique, climatique ou civile. Le taux de prime payé par tous les assurés localisés à l'intérieur d'une même zone devrait être similaire pour un même risque assuré. De la même façon, à partir du moment où l'évènement déclencheur survient, tous les assurés d'une même zone devraient recevoir des niveaux d'indemnisation similaires pour le même risque assuré. – L'avènement d'une nouvelle réglementation en assurance Takaful pour compléter et diversifier le dispositif existant et répondre aux attentes des segments de marché de l'assurance.
– La coexistence de la branche microassurance vie et dommages avec l'une des branches au sein d'un même assureur pour proposer une offre intégrée sous formes collective ou individuelle aux populations à revenus modestes – La mise en place de dispositifs réglementaires propices au développement de nouveaux canaux de distribution alternatifs de proximité adaptés à la microassurance, en s'inspirant des exemples de certains pays (IMF, Associations, Regroupements spécialisés…). – L'encouragement à la création de mutuelles et de coopératives d'assurances multisectorielles pour propager la micro- assurance. – L'institutionnalisation de fonds de garantie contre les risques climatiques pour soutenir la microassurance agricole et prévenir les risques catastrophiques. – La réglementation de la finance islamique en vue de développer et de diversifier les ressources de financement des investissements, de développer de nouveaux produits financiers, d'encourager l'épargne intérieure et d'instaurer de nouveaux dispositifs bancaires et financiers de microfinance afin d'accroître les acteurs du microcrédit et le taux de bancarisation des agents économiques. – La généralisation et la normalisation des nouvelles technologies de l'information et de communication pour traiter en temps réel les opérations, minimiser les coûts, réduire les risques d'erreurs, accélérer le traitement des dossiers et diminuer les fraudes.
Références -Rapport Algérie GIZ projet microassurance (07 Mars 2013) -Etude sur les produits Microtakaful : A. Hadj Mahammed (02/2013) -Actuarial Partners 12/2013 Microtakaful or microinsurance – Zainal Abidin Mohd Kassim Microtakaful et microassurance, enjeux et défis Dr H.Meliani et Dr K.Bouadma -Faculté sciences économiques- Université Ferhat Abbas (Sétif 04/2011)