Tout comme il existe des produits financiers bancaires spécifiques à la banque islamique, des produits spécifiques d'assurance permettent également la conformité à la charia. Avec 1.6 milliard de musulmans dans le monde, les musulmans devraient, dans les deux prochaines décennies, représenter plus d'un quart de la population mondiale. C'est notamment pour cette raison que les assureurs des pays non-musulmans, à forte densité de communauté musulmane, considèrent de plus en plus à offrir des produits d'assurance conformes à la loi islamique. Les assureurs dans les pays musulmans ne sont pas en reste, même si aujourd'hui la présence de l'assurance islamique varie d'une région à une autre, avec paradoxalement un taux de présence encore bien faible par rapport au potentiel. L'assurance en Islam est basée sur les principes de mutualité ou de coopérative reconnaissant de la sorte le partage de responsabilité, l'indemnisation conjointe, la solidarité et l'intérêt commun. Si jusqu'à présent l'assurance conventionnelle(1) a dominé, elle n'a pas été considérée comme conforme à la loi islamique dès lors qu'elle implique des éléments d'incertitude, de placements et d'intérêts. L'alternative d'assurance islamique, reprise de l'assurance conventionnelle, qui correspond le mieux aux exigences de la charia, est l'assurance mutualiste, puisqu'elle est basée sur des principes de coopération. Sa transposition à l'environnement musulman a imposé évidemment que les principes de placement soient prolongés de dons charitables, règle d'or de redistribution dans la charia. La diversification des produits d'assurance islamique est assez récente. C'est au cours des vingt dernières années que s'est notamment développé le produit désigné ‘takaful' qui allie la garantie d'assurance, proprement dite, ainsi que les revenus de placements. Ce qu'est le Takaful Cette expression dans le secteur des assurances, avant d'être commerciale, couvre la notion de garantie sur la base d'une réciprocité entre les assurés qui contribuent à un fonds(2) pour couvrir les indemnisations de sinistres mais également pour assurer les retours de l'investissement dans le fonds. Le ‘takaful' reste proche des concepts de l'assurance offerte par les mutuelles, mais son postulat de garantie par le fonds ‘des uns pour les autres' assorti à des placements forcément compatibles avec la charia le différencie de l'assurance conventionnelle. L'assurance islamique est une alternative certaine qui repose sur une philosophie particulière, celle d'être avant tout une institution sociale. Les principes du ‘takaful' reposent sur le fait que les titulaires des primes d'assurance coopèrent entre eux pour leur couverture commune, avec un concept de police d'assurance conclue non pour propre couverture, mais pour procurer de l'assistance à tiers. Ce concept est à l'opposé de l'assurance conventionnelle basée sur l'incertitude, qui est le vecteur des primes et des indemnisations de sinistres.Il s'en suit une solidarité dans l'affectation des pertes ou des surplus. Les variantes du ‘Takaful' Il existe des variantes du ‘takaful' dans le monde, selon le développement qui lui a été accordé par ses promoteurs et par les régulateurs. En effet, selon que le produit ait été développé dans la partie de l'Extrême-Orient ou au Moyen-Orient, les variantes du ‘takaful' reposent sur des conceptions différentes de l'affectation des surplus. Le modèle le plus simple est celui de la mutualisation sans placement des capitaux, mais qui n'est pas applicable dans les pays où les réglementations sont alignées sur le modèle de l'assurance conventionnelle et qui imposent une obligation de placement à titre de réserves. En Asie, le modèle de ‘takaful' repose sur un assureur qui reçoit, pour sa gestion du fonds, une partie du surplus des primes ainsi qu'une part des surplus en retour des investissements. Ce modèle est souvent désigné par ‘mudharaba'. Dans les pays du Moyen-Orient, la variante est désignée par ‘wakalah' où l'assureur agit en tant qu'agent des investisseurs du fonds et reçoit un honoraire pour sa gestion. Les surplus des dotations au fonds pour la couverture d'assurance et de réassurance sont partagés entre les participants. Il en est de même pour les profits tirés des activités de placements. Dans les deux modèles, les placements doivent être forcément conformes à la charia et doivent ainsi exclure les activités liées au commerce de l'alcool, à des services financiers conventionnels de l'usure (ribaa), du jeu et autres non tolérés ou interdits par la loi islamique. Les deux modèles de ‘takaful' se rapprochent également au sens où avant d'être un modèle de charité, ils sont avant tout des fonds de services professionnels gérés sur des bases de rentabilité et de profitabilité où l'équité sociale entre les membres reste le vecteur clé. Problématiques de réglementation L'implémentation de fonds d'assurance islamique adaptés aux règles du marché moderne est sans doute assez récente pour pouvoir recenser des réglementations élaborées, complètes et surtout compatibles entre les différentes régions et systèmes internationaux. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, tant les diversités de produits et d'environnement complexifient d'autant les ambitions de normalisation de réglementations sur le sujet. Chacun se plairait à rappeler, avec nostalgie, l'acte d'assurance rapporté par l'histoire de l'Islam et selon laquelle la responsabilité partagée avait été initiée entre les musulmans de La Mecque et ceux de Médine. Dans le cadre de l'expansion des activités de commerce en Asie, ils avaient constitué un fonds d'assurance mutuelle pour indemniser ceux des leurs qui étaient exposés aux vols et aux incidents de traversées de mer. Il est fort possible que les réglementations sur l'assurance islamique prennent encore du temps à être formalisées dans les pays à dominante d'assurance conventionnelle, comme cela est le cas de la finance islamique dans les pays où la réglementation bancaire est consacrée exclusivement à la banque conventionnelle(3). Cela n'empêche pas la cohabitation d'autant que dans les modèles d'assurance en mutuelle ou en coopérative les bases techniques et de réglementation existent et ont démontré leur efficacité. Selon les pays, l'enjeu de l'adaptation des réglementations est intimement lié à la structure du marché et à son potentiel de développement.D'une région à une autre, les enjeux s'apprécient sur les infrastructures du métier de l'assurance, des compétences humaines et des spécialistes en charia. Il ne faut pas sous-estimer l'apport des pays non musulmans à forte densité de communauté musulmane et qui pourraient dans les prochaines années prendre le pas sur les pays émergents dans ce métier, tant l'enjeu de marché est intéressant. Enjeux de développement Le potentiel de l'assurance islamique est énorme. Sur le simple constat que la pénétration de l'assurance dans les pays musulmans est à peine à un pour cent du Produit intérieur brut alors qu'il avoisine les dix pour cent aux Etats-Unis ou qu'il dépasse les douze pour cent en Grande-Bretagne, les projections de développement sont prometteuses. Dans les pays non-musulmans, à population musulmane en nombre significatif, l'enjeu de développement réside dans la cohabitation sur les marchés avec l'assurance conventionnelle. L'assurance conventionnelle est à la fois un handicap au plan de la concurrence, mais elle est également un atout en tant qu'alternative avec des compétences qui peuvent être récupérées des compagnies d'assurance. L'agence de notation ‘Moody's' dans une publication(4) sur la matière pronostiquait que le marché de l'assurance islamique devrait tripler d'ici 2015. Cette appréciation de la croissance est estimée à près de 20% au cours des dernières années, avec un total de primes collectées de 2 milliards de dollars en 2005 projeté à 7,4 milliards pour 2015. La même publication rapporte que le marché de l'assurance islamique compte 250 sociétés dans le monde et que ce nombre évoluera avec la croissance du marché. L'assurance islamique est une alternative viable et fiable Cette conclusion, déjà formulée en expérience d'assurance en mutuelle ou en coopérative, est également valable pour les produits d'assurance islamique, ne serait-ce que sur la base de la projection de la population musulmane dans le monde. Des pays comme la Malaisie ou les pays du Moyen-Orient ont déjà développé les normalisations techniques en conformité avec la charia et l'intérêt des autres places financières confortent les chances de succès. Comme cela a été le cas pour la finance islamique qui s'est développée ces dernières années encore plus rapidement en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, malgré un climat de crise économique, l'assurance islamique a de belles perspectives. Facilement adaptable dans les pays non-musulmans, en raison de l'adaptation à l'assurance en mutuelle ou en coopérative, certains assureurs ont déjà développé des produits d'assurance conformes à la charia, validés comme dans le cas de la France par le comité de l'ACERFI(5), pour se prévaloir du label de conformité aux lois islamiques. De nombreuses pistes sont possibles comme les polices d'assurance sur les rapatriements et obsèques ou encore les polices d'assurance initiées en Europe sur la santé, y compris les frais de vaccination ou de circoncision ou l'assurance-voyage pour le pèlerinage à La Mecque.
Note : (1)Désigne les activités d'assurance dans un cadre réglementé, y compris pour les produits de placements non islamiques. (2)L'équivalent d'une compagnie d'assurance mutualisée. (3)Désigne l'activité bancaire réglementée et basée sur l'usure. (4)Moody's Approach to Analysing Takaful Companies. Mai 2007. (5)Audit conformité, éthique et recherche en finance islamique.