La Première de votre nouvelle pièce Trois jours avant l'heure aura lieu ce mercredi à Montréal, pourquoi cette ville ? La pièce est montée en Belgique. Elle sera jouée la première fois à Montréal. C'est un sujet difficile et délicat. Faire une comédie sur deux kamikazes en pleine préparation d'attentat est un peu difficile pour faire admettre ca à un théâtre pour la monter. Donc, nous l'avons montée avec nos propres moyens. Et comme SN Production m'avait demandé de venir au Canada avec un spectacle, je leur ai proposé de venir avec cette pièce (Trois jours avant l'heure).
Quelle difficulté ? D'abord le théâtre en Europe manque d'argent. Et le sujet abordé est très difficile. Pour pouvoir aborder ces problèmes là, il faut être vraiment d'une culture religieuse profonde et d'une culture laïque profonde. C'est l'association de deux qui permet qu'on peut jouer avec beaucoup de choses et les clarifier. J'ai la chance d'avoir réellement cette double-culture. Je peux le faire sans choquer les musulmans ou outrager l'islam, je peux quand même dire certaines vérités et les rendre accessibles pour ceux qui ne connaissent pas l'islam.
Tout ça en recourant à l'humour ? L'humour est le dernier recours quand il ne reste plus rien. Et d'ailleurs si nous, nous ne rions pas de nous même ce sont les autres qui vont rire de nous. Et l'humour est la preuve la plus flagrante que nous sommes capable de dépasser le problème. Et l'autre, on l'aidera. Sil rit avec nous, ça va l'aider à dépasser le problème. Pour être dans l'humour, il faut avoir la distance. Cette distance, en ce qui nous concerne, nous l'avons depuis la décennie noire. Nous en avons avalé des sigles avant Daesh. Notre « expérience » avec le terrorisme et avec un islam détourné et une religion fourvoyée, nous en connaissons un bout. Et notre responsabilité est pour ces sociétés à l'heure actuelle est de dire les choses le plus correctement possible. Aucun imam ne peut me contredire là-dessus !
L'image du musulman est malmenée dans les médias, est-ce que votre pièce va améliorer les choses ou encore les empirer ? La manière avec laquelle on parle des attentats dans les medias participe à leur mythification. Il faut les démystifier d'abord, les déconstruire. La radicalisation n'est pas un art suprême découvert par des musulmans de nos jours. Ce n'est qu'un principe ridicule qui utilise l'islam. Il y a eu de la radicalisation partout et en tout temps. Le fascisme italien ne ressemble pas au fascisme allemand ou au japonais. Il y a toujours eu des moments de radicalisation et d'extrémisme. Celui musulman n'est pas spécial en soi. Il repose sur le même principe en utilisant simplement l'argumentation et le Dieu des musulmans.
N'êtes vous pas en train de trop comprendre le kamikaze, le rendre humain, presque sympathique ? C'est un risque mais Il faut le prendre. C'est une démonstration par l'absurde. Ce que je dis est simple. Supposons que l'un de ses deux jeunes kamikaze se pose des questions. Dès qu'on se pose des questions, l'attentat n'aura pas lieu. Au fond, la radicalisation ne souffre pas de la question. Je suis mathématicien à la base, je raisonne par l'absurde. C'est un raisonnement scientifique. Le jeune qui pose des questions réussit à mettre le doute dans la tête de l'autre qui était complètement convaincu. Et l'attentat n'a pas lieu. Le questionnement de l'un démonte le radicalisme de l'autre.
N'avez-vous pas peur d'un risque de polémique comme c'est arrivé à Ismael Saidi l'auteur de la pièce Djihad ? Je l'ai vue à Paris. L'auteur parle des jeunes qui veulent aller combattre en Syrie. Des jeunes qui ne connaissent rien à l'islam. De ce qui leur arrive sur leur itinéraire. Mais il n'y a pas de débat sur l'islam à l'intérieur. Il reste sur la forme. Ma pièce s'intéresse au fond.
La polémique est donc justifiée ? En général, la polémique atteint toujours les œuvres faibles. Une œuvre qui se soutient ouvre un débat, un questionnement. Elle n'ouvre pas une polémique. Toute œuvre faible qui manque de quelque chose créé la polémique.
Le problème des jeunes radicalisés n'est-il pas identitaire à la base? A la base et systématiquement, ils ont une relation compliquée au père. Dans nos sociétés, quand la relation au père se complique, celui qui le remplace c'est Dieu. Il se trouve que même Dieu peut rédempter le père. C'est ce qui se passe au niveau psychologique. La formule est une. Il n'y en a pas dix mille. Après tout déboule avec des variantes, bien sûr. Les problèmes identitaires prennent mille et une formes. Les hooligans ou les fascistes d'extrême droite ont aussi un problème identitaire. Il cherche une identité dans l'extrémisme par la pureté de la race, par la violence. C'est du même gabarit. Ce n'est pas parce que c'est entouré d'islam que â doit être spécial.
Mais dans les média, on prétend que c'est culturel ? Ils prétendent que c'est inévitablement lié à l'islam. C'est vrai qu'historiquement l'islam est une religion qui a été guerrière, a mené des guerres, a développé la notion de martyr guerrier, la notion de mourir pour Dieu…mais tout ceci ne justifie pas qu'elle ne peut pas être une religion de paix en temps de paix. Ce n'est pas parce que l'islam te dit comment faire la guerre qu'il faut la faire pour être musulman. Il faut des motifs à une guerre, qui la justifient. Toute violence commence dans un pays non pas à partir d'une idéologie. Les peuples sentent qu'il y a une violence qui va se déclencher, ils trouvent une idéologie pour la justifier soit en n détestant les juifs comme les Nazis, soit les musulmans ou autres. Dans les sociétés où on a accumulé les contradictions les unes sur les autres, il y a toujours une violence qui couve. Toute société crée son conflit. Elle avance à travers les conflits qu'elle crée à l'intérieur d'elle-même. Les sociétés arabes comme toutes les sociétés créent des conflits mais elles ne leur donnent pas de réponse. Elles les laissent stagner longtemps. Ceci ne peut aboutir qu'à la violence. Il faut l'argumenter! Et il se trouve que la religion le fournit. Prenons les événements du 5 octobre 1988 en Algérie. S'il y avait une idéologie républicaine de gauche dominante dans la société, on aurait fait la prise de la Bastille.
Es-ce une position défensive de votre part ? Pas du tout. C'est Camus qui disait qu'il faut bien nommer les choses. Si tu ne les nommes pas, tu te trompes, tu vas à la catastrophe. Dans une expérience physique, biologique, il faut déterminer exactement le virus pour lui trouver un remède. Je ne défends pas ces gens-là. Mon moteur c'est ma responsabilité de le dire. Je connais l'islam et je connais la modernité. Je parle en tant que témoin.
Votre pièce est en français, que donnerait l'expérience en en arabe ? Pour les spectateurs algériens qui seront présent ce mercredi [aujourd'hui, NDLR], au bout de cinq minutes, ils vont l'entendre en arabe! Avec ma pièce Les fils de l'amertume montée en 1994 en France, le meilleur compliment que j'ai eu venait d'un spectateur qui m'avait dit : « Mr Benaissa, je vous jure qu'au bout de cinq minutes je vous écoutais en arabe! ».
Est-ce qu'il y a une différence entre le public de la diaspora algérienne en Europe et ici au Canada ? Ici, au Canada et au Québec le public algérien est beaucoup plus détendu !
Plus : http://festivalarabe.com/evenement/trois-jours-avant-lheure/