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Karim Jbeili. Psychanalyste égyptien, spécialiste du phénomène kamikaze « Avec l'intégrisme, le rapport entre la vie et la mort dans l'Islam s'est modifié »
Psychanalyste égyptien basé à Montréal, Karim Jbeili a étudié le phénomène kamikaze dans le cadre d'un groupe de réflexion sur le psychisme des Orientaux. Cofondateur d'une nouvelle association de psychanalystes d'origine arabe, il a publié de nombreux articles dans des revues du monde arabe. Pour El Watan, il revient sur les mécanismes mentaux à l'origine des attentats suicide. L'Algérie n'avait pas connu d'attentat suicide depuis 1995. Sur les lieux du drame, une réflexion revenait souvent : « Impossible que les kamikazes soient des Algériens, ce n'est pas dans notre culture. » Avons-nous une perception restrictive, moyen-orientale du kamikaze, forcément incarné par un chahid palestinien ou irakien ? Oui, l'attentat suicide étant une technique inhabituelle chez les islamistes algériens, les habitants ont tout de suite vu dans le procédé utilisé la marque d'Al Qaïda. Ce n'est pas étrange finalement, car les mêmes propos ont été tenus en Afghanistan où les attentats suicide ne sont apparus que très récemment, il y a un an environ. Quelles sont les motivations qui poussent un homme en général – et un islamiste en particulier – à sacrifier sa vie pour une cause ? Ce phénomène, très étrange, se retrouve aussi chez les personnes traumatisées. L'analyse de leurs cauchemars montre que ces victimes sont soumises à une violence contre elles-mêmes. Cette violence exprime le besoin de se réveiller, de rester vivant, de ne pas se laisser aller à un sommeil, donc, à la disparition de soi. Il faut vraisemblablement chercher la cause de tout cela dans la disparition d'une image paternelle, bienveillante et protectrice. Cette image peut être symbolique : un roi ou même une république. Jusqu'à maintenant, les choses se passent plutôt bien dans les monarchies musulmanes, comme la Jordanie ou l'Arabie Saoudite. L'empire ottoman aussi a connu la paix, car même si l'autorité était physiquement éloignée, elle était très présente. Le Maroc, une monarchie, a tout de même été touché par plusieurs attentats suicide ces derniers mois… Cela s'explique. L'Algérie et le Maroc ont basculé parce qu'ils font partie de ces pays où le pouvoir ne remplit pas son mandat. Abdelaziz Bouteflika a probablement perdu son crédit aux yeux des islamistes en négociant avec les Américains. Quant à Mohammed VI, il ne semble pas avoir l'aura que l'on attendrait d'un roi. La misère et le désœuvrement suffisent-ils à expliquer un tel sacrifice ? Non. Ces facteurs doivent obligatoirement être associés à un désarroi psychique. Mais les islamistes ont une image paternelle bienveillante : Ben Laden. Ben Laden peut, certes, s'imposer comme protecteur, mais il est à cheval sur le politique et le religieux. Or, l'autorité politique est là pour servir d'alternative à la pression étouffante de la religion. Le problème est que, souvent, les islamistes sont pris au piège de la religion. Ils ne peuvent pas s'en dégager. La perte de cette alternative est réellement traumatique, au point d'envisager de perdre la vie. Un sacrifice commis uniquement au nom de Dieu ? A ceci près qu'on assiste comme à un changement de dieu. Le dieu des islamistes n'est plus tout à fait Allah dans sa bienveillance, mais un dieu dévorateur qu'il faut satisfaire, à l'image de Moloch ou de Baal, des dieux phéniciens à qui on offrait des victimes. Le rapport entre la vie et la mort s'est modifié dans l'Islam depuis que l'intégrisme s'est répandu. Dans le mythe d'Abraham, Dieu intervient pour qu'Ismaël se transforme en mouton. La vie et la mort sont très imbriquées, de par la menace qui pesait sur le fils d'Abraham. Chez les islamistes, on assiste à une scission entre les deux. Le kamikaze meurt dans l'espoir d'obtenir la vie éternelle : il y a une déchirure entre les concepts de vie et de mort.