Gérant d'une entreprise d'agroalimentaire, Rabbani a dénoncé, hier, la décision du ministère des Ressources en eau de bloquer les autorisations de forage dans la région de Ghardaïa. Après un lourd investissement pour la production des céréales, de maraîchage et d'huiles essentielles, sur une superficie de 500 hectares à El Ménéa, la société s'est heurtée à un problème de taille, auquel de nombreux autres investisseurs agricoles font face dans la région. Exhibant une quantité de papiers, il dit s'exprimer non seulement en son nom mais en celui de plusieurs autres sociétés agricoles, otages des tracasseries de l'administration. «Les autorités locales ont bloqué toutes les autorisations de forage dans cette région, mettant une bonne partie des investisseurs dans une situation d'embarras. Notre société a investi des milliards avant que les responsables de l'Anrh (Agence nationale des ressources hydriques) nous signifient le rejet de notre demande d'autorisation de forage sous prétexte que la région est arrivée à terme des attributions d'exploitation de la nappe albienne. Or, nous savons tous à Hassi Lekhel, Mansourah, Ménéa, Naâma, Labiodh Sidi Cheikh et les régions de l'est d'Adrar, que le nombre d'autorisations attribuées dépasse de loin celui des exploitations réalisées. Plus grave. Ces autorisations se vendent en seconde main au marché noir par de faux agriculteurs. Ce document est octroyé pour une durée de cinq ans au cours de laquelle l'administration n'a pas le droit de l'annuler. En attendant, ces agriculteurs indélicats peuvent les céder à d'autres, moyennant de fortes sommes d'argent. Moi-même, j'ai été approché par un gardien pour me proposer le rachat de 1000 ha avec une autorisation de forage, mais j'ai refusé. Je ne veux pas passer par le marché noir. Sur plus de 3000 dossiers déposés à la direction des services agricoles de Ghardaïa, seuls quelques centaines ont réellement exploité la ressource. Le rejet des demandes de forage a été décidé sur la base des dossiers et non pas de la réalité du terrain. Aujourd'hui, nous sommes otages de l'administration. Nous ne pouvons rien faire. Comment voulez-vous encourager le secteur de l'agriculture, si la bureaucratie continue à étouffer toute initiative d'investissement privé ?» explique M. Rabbani, qui précise que la société qu'il gère a attendu deux ans pour bénéficier de 500 hectares sur les 2000 qu'elle avait demandés, dans le cadre de l'APFA (accès à la propriété foncière agricole), et se démène depuis plus de six mois pour obtenir, en vain, une autorisation de forage. Contacté, M. Haddar, président de la Chambre d'agriculture de Ghardaïa, abonde dans le même sens et fait état, à des nuances près, du même constat. «Il est vrai que, théoriquement, si l'on voit le nombre d'autorisations délivrées, nous pouvons penser que l'exploitation risque d'épuiser les potentialités hydriques. C'est l'Anrh de Ouargla qui est habilitée à décider, normalement sur la base d'un suivi sur le terrain et d'un inventaire des forages pour faire le décompte de ceux qui sont exploités, ceux qui ne le sont pas et même ceux qui sont illicites. Or, ce travail n'est pas fait. L'administration se contente de traiter la paperasse. Il est vrai que sur les 4000 autorisations de forage délivrées dans la région, seulement 800 forages ont été réellement exploités», révèle M. Haddar. Et de préciser : «En fait, il y a nécessité de revoir tout le mode d'attribution de ces autorisations, leur traitement et la réglementation les régissant.» Notre interlocuteur a rappelé les nombreuses recommandations adressées aux pouvoirs publics : «Nous avons proposé aux autorités de mettre en place des guichets uniques, composés de représentants des services de l'hydraulique, de l'Intérieur, de l'Agriculture et des Chambres d'agriculture, notamment au sud du pays où des pôles agricoles sont à promouvoir. Cela permettra de raccourcir les délais de traitement des dossiers d'investissement, de réduire les déplacements des investisseurs d'une région à une autre et de supprimer définitivement cette situation de ballotage à laquelle ils sont confrontés.» Pour le président de la Chambre d'agriculture, la région de Ghardaïa est par essence à vocation céréalière et maraîchère. «Avec une extension d'un million d'hectares, elle peut être un excellent pôle agricole, pour peu qu'il y ait un déclic. Les walis en général, et celui de Ghardaïa en particulier, ont été instruits pour accorder une importance particulière à l'agriculture, mais la réglementation en vigueur n'est pas faite pour libérer le secteur. Elle n'accompagne pas les investisseurs. Souvent, elle est la principale cause des blocages», conclut-il. Du côté du ministère des Ressources en eau, les responsables sont affirmatifs : «Il n'y a pas de blocage. Toutes les directives du ministre vont dans le sens de l'accompagnement des investisseurs agricoles.» C'est ce que nous a affirmé Nacera Mdebdeb, chargée de la communication au département de Hocine Necib. «A notre connaissance, il n'y a pas de problème de délivrance d'autorisation de forage à Ghardaïa. L'avis de l'Anrh, qui justifie l'octroi ou non de l'autorisation, est donné après étude. La réponse est favorable lorsque la ressource est disponible, mais dans le cas contraire, les agriculteurs sont orientés vers d'autres sites.» Tout en se référant aux déclarations du directeur des ressources en eau de la wilaya de Ghardaïa, Mme Mdebdeb rappelle que durant l'année en cours, 270 autorisations de forage ont été délivrées, alors que 29 autres sont en cours de signature par le wali, et 36 en cours de traitement au niveau de la commission de wilaya, composée de représentants de tous les services concernés, dont l'Anrh ainsi que les directions des services agricoles et des ressources en eau. La responsable n'a pas manqué de mettre en avant «les nombreuses directives et «instructions du ministre allant toutes dans le sens de l'encouragement de l'investissement agricole et son accompagnement». Entre les avis des uns et des autres, il y a anguille sous roche…