– Pour vous, dans l'idéal, à quoi devrait ressembler la relation franco-algérienne ? Il y a en France de nombreux Algériens et Franco-Algériens. Il y a un tissage physique entre la France et l'Algérie, de par les citoyens. Ce ne sont pas des relations sur un bout de papier. Ce sont en France des millions de personnes qui sont francophiles et c'est cela qui fait mal. Le mal, c'est qu'on n'arrive pas à dépasser les discours officiels et à parvenir à nommer et acter ce qui se passe. Ce à quoi devraient ressembler les relations franco-algériennes, c'est mettre en adéquation ce tissage sur des actions de liens, de jumelage, de coopération, d'éducation. Ce passif de la guerre coloniale n'est pas résolu encore et on pourrait, dans des relations franco-algériennes, le régler par les liens. Il ne suffit pas de signer des accords commerciaux. Le lien entre les deux pays mérite mieux, au plan de la rencontre, du partage et du respect. Les histoires non dites participent au déni du respect. Il ne faut pas que les relations entre les deux pays relèvent seulement de l'économique. – Que pensez-vous de la visite d'Emmanuel Macron en Algérie ? Je fais partie du Collectif du 17 Octobre 1961 qui a adressé une lettre au président Macron pour demander une entrevue. Il nous a été répondu qu'il n'était pas possible de le joindre. – Est-ce que vous avez déjà été invité lors des précédentes visites de présidents français ? Non, jamais. En fait, pour les visites officielles de chefs d'Etat, les responsables associatifs ne sont pas invités. Ils convient les artistes, les gens du monde de l'économie, jamais les responsables associatifs, surtout lorsqu'ils interpellent l'Etat français sur le passé et le devoir de mémoire. – Ces mêmes responsables associatifs souhaiteraient-ils être invités ? Moi, non. Les visites officielles, cela ne m'intéresse pas. Ce qui compte pour moi, c'est que puissent être actées politiquement, dans la parole publique, les revendications des citoyens de ce pays. Nous sommes des Franco-Algériens. Nous avons voix au chapitre sur les responsabilités de la France sur le colonialisme, les massacres qui ont commencé à être reconnus, mais qui ne sont pas actés vraiment dans l'espace public par des actions fortes. Par exemple, le début de reconnaissance du 17 Octobre 1961 par le président François Hollande, n'a pas été suivi d'effet. On aurait escompté un lieu de mémoire et l'enseignement dans l'éducation nationale du fait colonial. – Pourquoi est-ce si difficile d'avancer dans la reconnaissance du fait colonial ? Le contentieux de la guerre d'Algérie et le contentieux colonial soulèvent beaucoup de polémiques. On a voulu éteindre depuis l'indépendance ce qui s'est passé pendant huit années de guerre : les tortures, les délits de justice, les assassinats. Tant qu'on n'a pas tourné cette page d'histoire, elle resurgira par rapport aux descendants, aux communautés diverses et variées, qui souhaiteraient en parler sereinement. Qu'on puisse d'abord reconnaître les faits sur les gens déplacés, assassinés, torturés. On honore les anciens criminels, comme Bigeard. C'est le ministre en place, Le Drian, qui l'a fait à Fréjus. Il y a eu une campagne, il y a cinq ans, pour que Bigeard rentre au Panthéon. Nous, les associations, on a fait une campagne pour dire que c'est impensable. On a gagné, mais Le Drian qui, je pense, va accompagner Macron à Alger comme ministre des Affaires étrangères, avait fait un discours à Fréjus pour accueillir les cendres de Bigeard, sans dire qu'il était le chef des tortionnaires. – La visite d'un chef d'Etat français en Algérie, selon vous, est-ce important ? Bien sûr, d'autant plus que Macron avait fait une déclaration sur la colonisation «crime contre l'humanité». Nous, on ne fait pas de procès d'intention. Il faut que les déclarations soient suivies d'actes. C'est qui a été souligné le 17 octobre dernier.