Yennayer, jour de l'An amazigh, est un rendez-vous singulier dans les coutumes des Algériens, mais aussi du peuple amazigh de l'Afrique du Nord, ce qui le place dans sa dimension de fête régionale. Dans notre pays, sa célébration se déroule sur deux niveaux dissemblables, qui ne se rencontrent donc pas : l'officiel et le populaire. Consacré journée de Fête nationale, chômée et payée, lors du Conseil des ministres du 27 décembre 2017, Yennayer voit depuis deux ans l'Etat mettre tout son zèle dans les programmes de célébration. L'implication du gouvernement dans les festivités se fait avec le poids pesant des ministres et des walis. L'objectif inavoué est de montrer à l'opinion nationale, internationale aussi, le changement de l'attitude gouvernementale vis-à-vis de la question identitaire, contrastant avec les pratiques réprimantes et dénégatrices de l'identité nationale amazighe. Il règne cependant sur les programmes officiels de Yennayer beaucoup de folklore et du tape-à-l'œil avec des semaines culturelles et des parades qui sont censées montrer la diversité du patrimoine culturel amazigh. Mais si le folklore est l'étude des us et coutumes d'un peuple à divers niveaux de recherches, il se résume dans les festivités officielles au volet festif, culinaire et des animations qui ne vont pas jusque dans la substance du patrimoine et de l'histoire amazighs. Cet élan constaté ces deux dernières années accompagne une politique nationale qui s'emploie à s'approprier les repères identitaires et de les arracher au propre terrain de la militance amazighe. Si certains des militants berbéristes ont applaudi les avancées et les acquis de la revendication identitaire, nombreux sont ceux qui alertent sur des manœuvres d'appropriation douteuses et dangereuses. La situation dans laquelle se trouve la langue amazighe dans l'éducation nationale traduit tout le contraire de «la bonne volonté» de l'Etat à prendre en charge la dimension identitaire amazighe consacrée par la Constitution. Non encore généralisé, toujours facultatif et relégué en seconde zone, tamazight a été promulgué langue nationale en 2002 et officielle en 2016. Trois ans après son officialisation, on attend toujours qu'il accède pleinement à son statut constitutionnel. Ce sort regrettable de tamazight, mais aussi l'avenir incertain de l'Académie amazighe, notamment après l'annonce de sa composante, font douter sur les visées réelles qui se cacheraient derrière le nouveau statut de Yennayer. Le positionnement officiel par rapport à ce repère identitaire ne date pas du 12 janvier 2018. Au début de 2017, des walis, du moins en Kabylie, avaient saisi les maires afin de veiller à la célébration comme il se doit de Yennayer. La correspondance officielle avait étonné par sa littérature qui faisait, déjà, de Yennayer une fête «nationale». L'instruction du ministère de l'Intérieur, qui avait devancé le décret présidentiel, n'a fait que se mettre au diapason d'une pratique profondément populaire. Chez la population, Yennayer a toujours été une fête sacrée. Il est fêté dans les quatre coins du pays, mais sa célébration prend une charge identitaire toute particulière dans certaines régions, dont la Kabylie, pour cause de sa longue tradition de combat identitaire. Tout le mouvement associatif s'investit à l'occasion de cette journée qui inaugure l'année amazighe. Le cachet folklorique n'épargne pas les festivités de la plupart des associations qui se prennent difficilement en charge financièrement. Si certaines s'oublient dans le tout festif, beaucoup font l'effort de la sensibilisation et de la vulgarisation en invitant des conférenciers à parler d'histoire et de tradition. Mais très peu nombreuses sont celles qui misent sur la transmission en direction des enfants. Malgré cela et comme chaque année, et ce, depuis toujours, la célébration de cette journée est un moment qui s'inscrit dans le processus de consolidation identitaire, y compris au sein des familles qui ne dérogent pas à la tradition du dîner de Yennayer. La mobilisation citoyenne à cette occasion ne semble aucunement s'encombrer de l'activité parallèle des officiels. A chacun ses moyens, sa politique et ses convictions. A peine si certaines voix de militants politiques alertent sur «la récupération» et «la folklorisation». Sinon, le gouvernement investit le terrain de Yennayer, sur lequel la population fait valoir lourdement sa supériorité numérique et ses convictions identitaires profondes et immuables.