Suite à l'article consacré à Felix Colozzi et paru dans nos colonnes dans l'édition du 18 février 2010, nous avons reçu les précisions suivantes de la part du concerné qui fait savoir que le titre de l'article est de la propre initiative du journaliste. S'il m'avait interrogé à ce sujet j'aurais répondu : La France a franchi un premier petit pas quand son Premier ministre a reconnu officiellement que c'était une guerre et non plus « les événements » ainsi appelés à l'époque. Le deuxième serait, au minimum, de reconnaître les méfaits du colonialisme. Quant à nous, nous pouvons tourner la page, mais pas oublier Comment oublier les tortures dignes de la Gestapo que nous avons subies de la part de la police ? Comment oublier, à la prison de Serkadji (Barberousse) les réveils en sursaut, à l'aube, quand nous entendions les frères sortis brutalement des cellules par les gardiens pour être guillotinés, qui criaient avec courage : « Vive l'Algérie indépendante » ? Dans le silence de l'aube, les youyous de l'ensemble des femmes de La Casbah accompagnant nos martyrs à la guillotine, à la mort, les CRS entrant dans la prison pour nous faire taire ? Comment oublier le Frère avec qui nous avons partagé la gamelle partant à la mort ? Comment oublier les mauvais traitements dans les prisons dont celle de Lambèse où j'ai passé deux ans ? A Lambèse on torturait ! On torturait dans le quartier des punis, le mitard, en présence parfois du directeur et de ses adjoints ! Le maître d'œuvre était le prévôt des lieux, ancien condamné à mort, de droit commun, se faisant appeler « Sanglier », c'était son titre de gloire. A Lambèse, nous avons eu plus de quatre-vingt morts suite aux bastonnades, aux mauvais traitements, au manque de soins, sans compter les maquisards qui avaient connu les pires sévices lors de leur arrestation, et qui sont devenus fous suite aux traitements subis à Lambèse. Comment oublier les mechtas détruites et le regroupement des populations dans des camps ( les SAS), etc. ? Comment oublier les nombreuses grèves de la faim observées dans des conditions difficiles pour notre dignité, l'amélioration des conditions de vie, contre la brutalité des gardiens, etc. ? La dernière grève, en 1961, aura duré 21 jours. 1/ Je n'ai jamais dit que la CGT était vendue aux Soviétiques ! Je lui ai raconté qu'à l'époque j'avais 15 ans, j'étais politiquement analphabète. Le milieu dans lequel je vivais ne favorisait pas mon évolution. Pour moi l'Algérie était française. Là où je travaillais, j'entendais dire que la CGT était dirigée par les communistes, des Français vendus aux Soviétiques qui poussaient les dockers à ne pas charger sur les navires les armes pour le Vietnam, alors que nos « soldats » défendaient la France. Je lui ai alors expliqué comment j'avais évolué politiquement : En 1946, je suis entré à la SACT, société nouvellement créée. La CGT a créé le syndicat dans l'entreprise, aussitôt un syndicat dit « indépendant » a vu le jour. Toujours avec mes préjugés, j'adhère à ce dernier. Arrive une grève déclenchée par la CGT pour l'augmentation des salaires. Je vais voir aussitôt le délégué du syndicat indépendant pour lui demander ce que nous devions faire : il me répondit que c'est une grève politique et ceux qui y participeront seront licenciés. J'ai effectué alors un revirement de 180°. Je démissionne sur le champ de ce syndicat et adhère à la CGT : j'ai été délégué du personnel et au comité d'entreprise. J'ai alors fréquenté assidûment le Foyer civique, Alger Républicain. Je me suis inscrit au PCA . 2 : Pierre Cots était simple ouvrier à la SACT et ce n'est pas grâce à lui que je suis passé par tous les stades de production. Il est de ceux qui ont contribué à me faire prendre conscience de la classe à laquelle j'appartenais. Que je faisais partie intégrante du peuple algérien. Aussi, dès qu'il y a eu une opportunité, je me suis engagé dans les groupes de fidayine. D'autre part, je n'ai jamais distribué la Dépêche et l'Echo d'Alger. 3 : Concernant l'affaire Fernand Iveton et les circonstances de notre arrestation : Iveton a été arrêté le 14 novembre 1956 à 16 h, suite à la bombe déposée à l'usine à gaz (EGA). Le journaliste laisse entendre qu'Iveton aurait donné nos noms peu de temps après son arrestation Pourtant, je lui ai bien expliqué les circonstances de notre arrestation. En effet, il était entendu que chaque membre du groupe devait être à son domicile à 19h30 afin qu'on puisse nous évacuer dans le cas où l'affaire échouait. Iveton ne s'étant pas présenté à l'heure fixée pour être évacué au maquis, Yahia Briki et Jean Farugia se sont rendus aussitôt au domicile de notre chef de groupe, Hachelaf, afin de le mettre à l'abri. Ayant été retardé, ce dernier n'est rentré chez lui qu'à 21 h. Il leur a dit : il y a Colozzi et Makouf qui sont également en danger. Ayant conduit Hachelaf dans une cache, Yahia Briki et Jean Farugia sont aussitôt venus dans mon quartier pour m'évacuer. Ayant constaté des mouvements suspects, ils sont aussitôt repartis. Dès son arrestation, Iveton a été affreusement torturé d'autant plus que nous étions les premiers à être pris avec une bombe. Par notre intermédiaire, les policiers pensaient arriver jusqu'au laboratoire de fabrication des bombes. Iveton n'a donné nos noms que lorsqu'il était certain que nous étions en sécurité. Personnellement, j'ai été arrêté à 22 heures et Makouf trois jours plus tard. Arrivé au commissariat central, j'ai aussitôt reçu des coups et été torturé à l'électricité, etc. En attentant de placer la bombe à l'endroit où elle devait exploser, Iveton avait déposé cette dernière dans un local désaffecté. C'est le contremaître, entendant un tic-tac, qui l'a découverte. Alors qu'en tant que complices, nous aurions dû passer au tribunal avec Iveton, en flagrant délit, le pouvoir colonialiste, voulant en faire un exemple, l'a dissocié du groupe. Il a été présenté seul à l'instruction le 19 novembre 1956, et le reste du groupe, le 20 du même mois. Son procès a eu lieu au tribunal militaire le 24 novembre 1956. Condamné à mort, il fut guillotiné le 11 février 1957, avec deux autres martyrs, Laknèche Mohamed et Ouennouri Mohamed. Iveton est, parmi les condamnés à mort, dont la sentence a été exécutée juste après les délais légaux d'appel et demande de grâce, soit 78 jours après sa condamnation. Pour information, le 7 novembre, on avait proposé à Iveton une bombe qui devait éclater à 18h. Il I'avait refusée car c'était l'heure de la sortie des travailleurs et réclamé une bombe éclatant à 19h30. C'est ce que nous avons également déclaré à la police et qui est noté dans nos P.V. Il n'y avait eu qu'un début d'action. Cela aurait dû plaider pour sa grâce. Iveton fut sacrifié, comme certains de ses compatriotes pour la cause colonialiste. Des innocents ont été guillotinés. Parmi eux, il y a Badèche Ben Hamdi qui avait été accusé d'avoir abattu Amédée Froger, président des Maires d'Algérie. Badèche n'avait rien à voir avec cet attentat ; entendant des coups de feu, il s'était enfui. Le 20 novembre 1957, au tribunal militaire pour l'affaire de la Bouchonnerie internationale, alors que nous étions passibles de la peine de mort, nous avons eu la chance, Hachelaf et moi d'être condamnés aux travaux forcés à perpétuité et Makouf à 20 ans. 4 : En gros titre et en gras, il est écrit : « LES COMBATTANTS DE LA LIBERTE (CDL) ». Cette organisation, dont j'ai fait partie, a eu de valeureux militants qui sont morts en héros pour l'Algérie. Le 1er juillet 1956, tous les groupes CDL de fidayine, sous la direction de Guerroudj, Briki, Castel et Farugia sont passés au FLN. Et c'est en son nom que nous avons agi. 5 : En encadré, « PARCOURS », il est écrit que j'aurais eu maille à partir avec la police de Boumediène. Si j'ai eu quelques problèmes, ces derniers ont été réglés rapidement à un haut niveau, et c'est sous Boumediène que j'ai occupé des postes de responsabilité dans différentes sociétés nationales jusqu'à ma retraite. Colozzi Felix Cité des Annassers II Bt20 A logts 3 16308 Kouba - Les Annassers