La Tunisie a marqué hier le 7e aniversaire de la chute du régime de Zine Al Abidine Ben Ali dans un contexte social tendu. Le pays n'arrive pas à relancer son économie. Au cours de la semaine écoulée, des manifestations pacifiques et des émeutes nocturnes ont secoué plusieurs villes, traduisant la grogne sociale, alimentée par le chômage persistant et exacerbée par des hausses d'impôts prévues dans le budget 2018. Une loi qui érode un pouvoir d'achat déjà éprouvé par une inflation en hausse, soit plus de 6% fin 2017. Les protestataires réclament la révision du budget voté en décembre, mais aussi une lutte plus efficace contre la corruption, autre mal qui perdure. Le Front populaire, un parti de gauche, a été accusé par le Premier ministre, Youssef Chahed, d'être responsable des troubles des derniers jours, lors desquels quelque 803 personnes, soupçonnées de violence, de vol et de pillage, ont été arrêtées, selon le ministère de l'Intérieur. Le mouvement social a été lancé début janvier à l'appel de Fech Nestannew (Qu'est-ce qu'on attend), dont les instigateurs, issus de la société civile, réclament davantage de justice sociale, en réaction aux hausses d'impôts décidées dans le cadre du nouveau budget. En difficulté financière, notamment après la crise du secteur touristique liée à une série d'attentats djihadistes en 2015, la Tunisie a obtenu en 2016 un prêt de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans du Fonds monétaire international (FMI). En échange, elle s'est engagée à une réduction de son déficit public et à des réformes économiques. Dans un récent rapport, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une organisation non gouvernementale tunisienne, a relevé que «les années ont passé et les citoyens sont toujours frustrés des droits pour lesquels ils s'étaient mobilisés». Le pays a gardé «le même modèle économique, avec les mêmes problèmes» qu'avant l'avènement de la transition démocratique, a indiqué le président du FTDES, Messaoud Romdhani. «La situation ne cesse donc d'empirer», a-t-il ajouté. En dépit d'avancées démocratiques, «le chômage, la misère et les inégalités sociales et régionales se sont aggravés», a relevé le FTDES. Des mesures pour atténuer la grogne Le président Béji Caïd Essebsi, qui a rencontré samedi les responsables des partis au pouvoir, du patronat et de la centrale syndicale l'UGTT, a reconnu que le climat social et le climat politique n'étaient «pas bons». En soirée, le gouvernement a promis un plan d'action qui doit toucher plus de 120 000 bénéficiaires. Il coûtera plus de 70 millions de dinars tunisiens (DT) (23,5 millions d'euros), a annoncé le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi. Il prévoit une aide à l'accès à la propriété pour les familles pauvres, des mesures visant à assurer «une couverture médicale pour tous» et une augmentation de l'allocation sociale en faveur des familles nécessiteuses, qui passera de 150 DT (50 euros) à 180 et 210 DT (60 et 70 euros) en fonction du nombre d'enfants, soit une augmentation d'au moins 20%. Depuis la chute du régime de Ben Ali, la Tunisie connaît régulièrement des mouvements de contestation populaire. Pour schématiser, l'actuel gouvernement dirigé par Youssef Chahed se retrouve, à l'exemple de ses prédécesseurs, face à une grogne sociale croissante. Grogne qui se traduit par la montée de mouvements sociaux, entre autres à Tataouine au Sud, Kairouan (Centre) ou à Kef (Nord-Ouest). Les mouvements sociaux prennent régulièrement l'allure de sit-in bloquant des routes et les accès à certains sites de production. Situation qui a contraint, en mai 2017, le président tunisien à annoncer, dans un discours, le recours à l'armée pour protéger dorénavant les sites de production des mouvements sociaux susceptibles d'empêcher leur exploitation. «Toute personne voulant manifester peut le faire dans le cadre de la loi (…). Mais si vous voulez manifester et que la première chose que vous faites, c'est stopper la production de la Tunisie (…), si vous bloquez notre peu de ressources, où allons-nous ?» s'est-il demandé. Car «qu'avons-nous en Tunisie ? Nous avons du phosphate, un peu de gaz et de pétrole et nous avons du tourisme, de l'agriculture», a-t-il ajouté. Or, «la production du phosphate s'est arrêtée pendant cinq ans», a relevé le Président en allusion aux protestations sociales ayant bloqué la production pendant de longues périodes, dans le bassin de Gafsa, au centre du pays. Et de poursuivre : «C'est pourquoi, du fait de toutes ces considérations (…), la décision, c'est qu'à partir de maintenant, l'armée va protéger les sources de production.» Pour le Président, «l'Etat a le devoir de protéger ses ressources, les ressources du peuple tunisien». Il a aussi critiqué à cette occasion les appels à manifester contre un projet de loi dit de «réconciliation» qu'il a proposé à l'été 2015, et dénoncé par la société civile et certains partis comme une tentative de «blanchir la corruption». En février, Youssef Chahed a procédé à un remaniement marqué par un changement de titulaire au poste stratégique de ministre de la Fonction publique, et un ancien syndicaliste a été remplacé par un dirigeant de la centrale patronale. Face aux critiques, le chef du gouvernement a purement et simplement supprimé le portefeuille. Le 30 avril, il a limogé les ministres contestés des Finances et de l'Education, à savoir Lamia Zribi et Néji Jalloul. Mme Zribi a été au cœur d'une polémique sur la dépréciation de la monnaie nationale, tandis que le départ de N. Jalloul est réclamé avec insistance depuis plusieurs mois par un syndicat. Le limogeage des deux ministres intervient quelques jours après la visite d'une délégation ministérielle, menée par le chef du gouvernement, à Tataouine, au Sud, agitée depuis plusieurs semaines par des mouvements sociaux. Début décembre, des violences ont lieu à Sejnane (Nord) après le décès d'une femme qui a tenté de s'immoler par le feu pour protester contre la suppression d'une aide sociale.