L'armée tunisienne protègera dorénavant les sites de production des mouvements sociaux susceptibles d'empêcher leur exploitation, a annoncé hier le président Béji Caïd Essebsi dans un discours très attendu. «N ous savons que c'est une décision grave mais elle doit être prise», a déclaré M. Essebsi devant un parterre de personnalités, notamment politiques, dans cette allocution de près d'une heure qui avait fait l'objet des spéculations les plus folles. Entre les mouvements sociaux, le limogeage de deux ministres importants (Finances et Education) et la démission du chef de l'instance chargée d'organiser les prochaines municipales (17 décembre), le pays a en effet connu des semaines agitées. «Toute personne voulant manifester peut manifester, dans le cadre de la loi (...). Mais si tu veux manifester et que la première chose que tu fais, c'est stopper la production de la Tunisie (...), si vous bloquez notre peu de ressources, où allons-nous?», a lancé le président Essebsi. Car «qu'avons-nous en Tunisie? Nous avons du phosphate, un peu de gaz et de pétrole, et nous avons du tourisme, de l'agriculture», a-t-il ajouté. Or «le phosphate s'est arrêté pendant cinq ans», a-t-il poursuivi, allusion aux protestations sociales ayant bloqué la production pendant de longues périodes, dans la bassin de Gafsa (Centre). «C'est pourquoi, du fait de toutes ces considérations, (...) la décision, c'est qu'à partir de maintenant l'armée va protéger les sources» de production, a-t-il annoncé. «L'Etat a le devoir de protéger ses ressources, les ressources du peuple tunisien (...). La démocratie, sa condition essentielle c'est l'Etat de droit», a ajouté le chef de l'Etat. Il a ajouté que, une fois que l'armée commencerait à protéger les sites, traiter avec elle serait «difficile». «Je vous mets en garde dès maintenant», a-t-il insisté. L'actuel gouvernement d'union de Youssef Chahed, à l'image de ses prédécesseurs, est confronté à une grogne sociale croissante, en particulier dans les régions de l'intérieur du pays, dont celle de Tataouine (Sud). Les mouvements sociaux prennent régulièrement l'allure de sit-in bloquant des routes et les accès à certains sites de production. «Il n'y aura plus de barrages, de routes coupées», a mis en garde M. Essebsi. Le président a par ailleurs critiqué les appels à manifester contre un projet de loi dit de «réconciliation» qu'il a proposé à l'été 2015 et qui est dénoncé par la société civile et certains partis comme une tentative de «blanchir la corruption». «Le président de la République, dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, a pris une initiative. Bonne ou pas bonne, lui pense qu'elle est la solution. Mais le Parlement l'examinera (...), c'est la règle du jeu», a dit M. Essebsi en accusant ses détracteurs d' «agiter la rue». Mettre en doute «le pouvoir législatif, cela je ne l'accepte pas», a-t-il martelé en se posant en garant des institutions. «Le processus démocratique en Tunisie est menacé», a-t-il encore dit, sans préciser sa pensée mais dans une apparente allusion aux appels à la formation d'un nouveau gouvernement ou à des élections anticipées. Si la Tunisie a réussi jusqu'à présent sa transition politique, elle n'arrive toujours pas à relancer son économie, six ans après la chute de Zine El Abidine Ben Ali. Tandis que le déficit public continue de se creuser, la croissance a plafonné à 1% l'an dernier. Les autorités tunisiennes espèrent un taux d'environ 2,5% en 2017.