Issu d'une famille de nationalistes, Hamou a ouvert les yeux sur un monde dominé par la haine, l'arbitraire, les injustices, ce qui a fait de lui un révolté. A Tazmalt, son village natal, les colons, comme le fameux Barbaud, Mme Georges… et leur administration ne rataient pas l'occasion de fustiger «les indigènes», de les maltraiter et de les exploiter. Le travail dans les fermes environnantes constituait le seul attrait pour ces malheureux qui vivaient dans un monde de misère et de privations, alors qu'eux-mêmes avaient créé un village touristique à Aïn Zebda, sur les hauteurs de Tazmalt, à quelque 1000 mètres d'altitude pour s'adonner aux sports d'hiver, respirer en été la fraîcheur du Djurdjura. Heureusement que son père Méziane atténuait cette misère du fait de son métier de forgeron. Mais comment peut-on apprécier un tel privilège lorsque les voisins et tous les autres musulmans se trouvaient dans le dénuement complet ? Devant une telle situation, l'esprit de révolte couvait chez les musulmans. D'ailleurs, les événements du 8 Mai 1945 furent l'occasion pour les réprimer en pourchassant surtout les militants du mouvement national. Au cours d'une perquisition, le père de Hamou fut arrêté après la découverte de documents compromettants et incarcéré à la prison civile de Bougie. Il fut libéré quelques mois plus tard. Hamou fréquentait l'école publique (surtout réservée aux enfants de colons). Il excellait et finit par décrocher son examen d'entrée en 6e, ce qui lui permit de s'inscrire au collège technique de Bougie, un privilège pour quelqu'un de la montagne. Et c'est le déclenchement de la guerre de Libération nationale. Ce fut à l'internat qu'il apprit la grande nouvelle. Malheureusement, son père fut de nouveau arrêté le 3 novembre 1954. Il s'agissait de «ramasser» tous les militants du mouvement national. Il fut brisé par cette deuxième arrestation, car il craignait que son père fût assassiné. Il avait applaudi en silence, comme nous tous au déclenchement de la guerre contre le colonialisme. L'arrivée des convois de soldats, les va-et-vient des patrouilles militaires et la vue des trains bondés de soldats montraient un pays en guerre. Cela présageait chez Hamou et tous les musulmans un double sentiment : celui de la fierté de voir enfin les Algériens se révolter et aussi celui de la peur, de la crainte de se faire tuer à chaque coin de rue, au niveau de chaque village. Les nouvelles sont alarmantes, les soldats tuaient, brûlaient des villages, arrêtaient des innocents. Ils ont même assassiné des étudiants, comme Amar, le jeune Brahmi Madjid à Toudja, le Dr Benzerdjeb à Tlemcen, etc. Désormais, l'heure est venue de choisir son camp. Les jeunes étudiants comme Hamou, moi-même et plusieurs autres jeunes préféraient mourir au combat que de se faire assassiner sans avoir l'occasion de participer à la guerre aux côtés des moudjahidine pour venger tous les crimes, les tortures et autres méfaits des soldats. La grève des étudiants déclenchée le 19 mai 1956 fut alors pour Hamou, comme pour nous, une occasion inespérée, celle de rejoindre les maquis et de participer enfin à la guerre de Libération nationale. Mais il n'était pas aisé d'y arriver, car il fallait d'abord trouver les contacts, se débrouiller une arme, et enfin perpétrer un attentat contre des soldats, des traîtres ou tout autre supplétif. Avec cette fougue de jeunesse, Hamou était prêt à tout, pourvu qu'il arrive à rejoindre les maquis et y mourir pour participer à la libération du pays. L'esprit de sacrifice n'avait d'égal que l'amour de la patrie. Il fallait répondre à l'appel de la montagne qui invitait tous les jeunes et les moins jeunes à renforcer les rangs des moudjahidine et se mettre à la disposition de la Révolution. Hamou avait compris que la guerre sera longue et difficile. Mais il n'y avait aucun doute sur son issue mais qu'il fallait consentir des sacrifices, faire face aux épreuves les plus difficiles à affronter. Finalement, tout comme moi, il n'a pas eu besoin de passer par l'épreuve de l'attentat. Et nous allions nous retrouver tous les deux au PC de la Wilaya III aux côtés d'Amirouche Aït Hamouda, sans aucune mise à l'épreuve. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois au début de l'année 1957 à Mezouara, le siège du PC, où il y avait des hommes de valeur, comme Tahar Amirouchen, Salhi Hocine… J'ai trouvé en lui un garçon gentil, bien éduqué et quelque peu timide. Il paraissait comme étant plus jeune que moi, avant de découvrir qu'il me dépassait de quelques mois. Il avait de la chance de se trouver avec Amirouche. Quel bonheur et quel honneur d'accompagner notre futur chef de Wilaya à travers les maquis ! Et comme signe de récompense, il eut droit à une arme, une mitraillette allemande PM 42. Il nous arrivait d'accompagner ensemble Si Amirouche dans quelques tournées, soit en Zone 3 (Grande Kabylie), dans l'Akfadou, ou à travers la vallée de la Soummam. C'était toujours des moments de bonheur de nous retrouver dans ce groupe, notamment avec Mouri Tayeb, Hamid Mehdi, ses deux aides de camp, Hamaï Mohand Saïd, son vaguemestre… Comme il nous arrivait de nous séparer pour aller en mission, chacun de son côté, mais pour nous retrouver au PC de Wilaya quelques jours après. Chacun de nous essayait de se rendre utile, de protéger notre colonel, notamment dans les lieux réputés dangereux. Nous étions prêts à sacrifier nos vies pour sauver Si Amirouche. Et puis, en mars 1958, il nous quittait pour se rendre en mission, mais cette fois-ci pour un long périple. Notre colonel lui confia une mission en Tunisie, avec des recommandations particulières pour les étudiants de la Wilaya III qui s'y trouvaient et muni d'une somme d'argent pour leurs besoins. Depuis, nous n'eûmes plus de nouvelles. Et nous nous sommes retrouvés seulement vers 1982 alors qu'il était PDG de la Serwis. Ce fut un grand moment de bonheur et nous suivions alors dans son bureau le match Algérie-Allemagne en Coupe du monde. Nous nous sommes rappelés tant de souvenirs avec notre colonel et ses compagnons qui étaient tombés au champ d'honneur. Ce fut l'occasion pour me raconter son périple lors de la traversée du barrage électrifié, après un mois de marche en affrontant ratissages et accrochages avec l'ennemi. Et ses études qu'il reprit en Tunisie, son baccalauréat passé à Tunis en 1962, son départ aux USA, et enfin le couronnement de ses études dans la prestigieuse université de Harvard ! Quel honneur ! Si seulement Amirouche était là pour le féliciter pour cette réussite. D'ailleurs, il dira souvent que sa réussite, il la devait au colonel Si Amirouche. Lors de la décennie noire, il quitta le pays comme d'autres pour des raisons familiales. Mais il avait toujours l'Algérie dans son cœur. Et il était resté fidèle à ses anciens compagnons qu'il aimait évoquer à chaque occasion. Et dans cet exil forcé, il écrivit un beau livre : Akfadou, un an avec le colonel Amirouche. Ses lecteurs découvrirent le moudjahid authentique, l'intellectuel et sa belle plume pour raconter son parcours. Ensemble, nous avons tenu quelques conférences sur invitations d'associations et notamment en 2010 au Centre culturel algérien à Paris et à la radio France culture, «La Fabrique de l'Histoire» afin de rendre hommage à chaque fois à Si Amirouche Aït Hamouda et à tous ceux qui ne sont plus parmi nous. Avec un verbe facile, une nostalgie qui le rattrape à chaque fois, il a su tenir en haleine son auditoire. Sa dernière conférence date seulement de deux années à la commune de l'Akfadou, sur invitation d'une association culturelle, en même temps que Gilbert Meynier et Rachid Adjaoud, aujourd'hui tous les trois disparus en si peu de temps. Et en l'espace de cette dernière semaine seulement, nous avons perdu Abdelhafid Amokrane, puis Hamou Amirouche. La perte cruelle de Hamou Amirouche, de Abdelhafid Amokrane, de Rachid Adjaoud nous a marqués à jamais, car ils symbolisaient la Wilaya III et à travers eux planait l'ombre de Amirouche Aït Hamouda. Ces trois moudjahidine du PC de la Wilaya III auront laissé l'image d'hommes purs, fidèles au serment de nos martyrs. L'arrivée du corps de Hamou Amirouche est prévue pour la journée du jeudi 22 février prochain à l'aéroport d'Alger. Son enterrement aura lieu le lendemain vendredi 23 février à Tazmalt, conformément à sa dernière volonté.