Après avoir eu raison des petites unités de textile et de couture, qui se comptaient par dizaines à Constantine, la déferlante, ces dernières années, sur le marché local de produits made in China et de la friperie est en passe de ruiner, à son tour, le petit secteur de la confection qui faisait vivre des dizaines de petits artisans. Au grand souk de Rahbet Ledjmel, une vingtaine d'artisans occupent depuis des décennies une partie du « marché de l'artisanat » avec chacun une petite échoppe. A considérer leur mine déconfite, l'on se rend compte que la plupart traversent une période difficile. L'un d'eux nous dira à ce propos : « Il n'y a pas si longtemps, le travail ne manquait pas et nous étions bien embarrassés pour contenter tout le monde. De grands ateliers de confection nous confiaient leurs commandes. Des pantalons ou des chemises, selon la saison, préalablement découpés, que nous assemblions avant de les coudre. Nous étions payés à la pièce et les grands ateliers étaient satisfaits de notre travail car ce genre d'opérations, assez délicates, revenaient moins chères chez nous. »Actuellement, les grands ateliers de confection ont fermé l'un après l'autre, laissant sans travail des dizaines d'ouvriers. Il existe bien quelques ateliers disséminés à travers la ville, parfois dans des quartiers huppés comme Sidi Mabrouk supérieur, mais ils travaillent dans la clandestinité. Ils sont installés dans des caves d'immeubles ou des rez-de-chaussée de villas transformés en locaux et emploient surtout une main-d'œuvre constituée d'étrangers en situation irrégulière ou bien des jeunes filles dans le besoin. Généralement sous-payés, ces ouvriers sont chargés d'assembler des produits textiles en provenance de certains pays du Moyen-orient, notamment de Syrie. « Le prêt-à-porter, introduit dans le pays par des importateurs dont le seul souci est le gain facile, et déversé en grand nombre sur le marché de l'habillement, a pratiquement ruiné ce secteur. Résultat : les commandes que nous recevions se sont taries », ajoutera le même interlocuteur. De fait, l'ancien immeuble de l'artisanat continue d'abriter une vingtaine d'artisans, chacun ne voulant pour rien au monde abandonner son échoppe de crainte de se retrouver à la rue. « Bien que les commandes d'autrefois aient disparu, dira un vieil artisan, nous restons derrière notre machine à coudre du matin au soir, et il nous arrive de reprendre un pantalon trop long ou d'ajuster un costume. Mais ce genre de travail nous permet à peine de survivre en attendant des jours meilleurs ». Dans un autre local du même souk de Rahbet Ledjmel, juste derrière la petite mosquée, sont logés une dizaine d'artisans, en butte aux mêmes difficultés. La plupart sous-traitaient avec des commerçants qui leur confiaient des articles traditionnels tels que serouals, gandouras pour hommes, voire burnous et djellabas. « Ces articles que nous recevions en vrac, nous dira l'un de ces artisans, étaient assemblés par nos soins. Nous leur donnions forme avant de les remettre à leurs propriétaires, et dans ce cas également le paiement était fait à la pièce. Il nous arrivait de traiter vingt à trente unités à chaque commande et nous n'étions jamais à court de travail ». Malheureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui, les habits traditionnels ne sont plus portés même pour les cérémonies comme les mariages et les circoncisions. Les produits chinois ou turcs ont submergé les magasins d'habillement.Généralement contrefaits, ils portent la griffe de grandes marques et attirent les jeunes et les moins jeunes. Les produits de confection locale ne peuvent, dans ces conditions, soutenir pareille concurrence.