Dans cette interview, le premier responsable du forum dresse l'état des lieux de la branche et évoque les contraintes qui freinent le développement d'une industrie textile locale. Liberté : Pourriez-vous établir pour nous un bref état des lieux du secteur du textile et des cuirs algériens ? Réda Hamiani : Le secteur du textile n'a pas réellement évolué en Algérie. Le renouveau s'est cantonné surtout dans la distribution, avec l'ouverture de nombreuses boutiques vendant de la confection, comme en témoignent désormais la plupart des rues de nos villes. Bien peu de monde s'intéresse à la production, pour diverses raisons, dont la moindre n'est sans doute pas le rétrécissement de la marge de profit. Il n'y a plus comme jadis création d'usines ou d'ateliers. Au cours des années 1960-70, en Algérie, la tendance était à l'investissement dans la fabrication, avec la volonté affichée de produire tous les vêtements sur place. De gros investissements ont été consentis par l'Etat dans la construction de complexes sur l'ensemble du territoire national. En ce temps-là, le secteur était un grand pourvoyeur d'emplois et les deux secteurs public et privé exportaient une confection de qualité. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le marché national est inondé de produits contrefaits. Même les grandes marques sont contrefaites, car le consommateur aime les grandes marques. Mais comme il n'a pas les moyens de se payer les produits originaux, il se rabat sur les produits contrefaits, qu'il s'agisse de Lacoste, Pierre Cardin, Yves St Laurent ou Ted Lapidus… Dans ce contexte, c'est le produit chinois qui a accaparé une bonne part du marché mondial (et pas seulement du marché algérien), car les Chinois sont capables de créer des produits bas de gamme à des prix imbattables, et en même temps des produits de grande qualité pouvant rivaliser avec les produits européens de premier plan. En ce qui concerne la production, on peut constater que les unités produisant du textile ont été frappées de plein fouet par l'ouverture tous azimuts des années 2000. Toutes sortes de produits, comparables aux produits algériens question prix, arrivaient en Algérie, en provenance de Chine, de Turquie, d'Egypte et de Syrie, pour les modes islamiques. La plupart de ces produits affichaient des marques contrefaites. Durant cette période, d'importantes parts de marché ont été perdues par le secteur textile local, en faveur de la concurrence étrangère. Quelles sont les raisons structurelles de ce recul ? L'industrie textile algérienne, conçue durant les années 1970 ne pouvait plus concurrencer les Chinois, parce que ceux-ci étaient et demeurent imbattables question productivité, alors qu'en face, l'industrie algérienne du textile ne pouvait pas produire de la qualité, s'étant confinée dans le produit médiocre. Résultat : les riches ne s'intéressaient plus à la production nationale et achetaient leurs vêtements à l'étranger, et les plus démunis se rabattaient sur la production asiatique à cause de la crise de leur pouvoir d'achat. Un constat attesté par la présence de plus en plus remarquée de revendeurs de friperie. La stratégie mise en place au cours des années 1970 et le décalage entre offre et demande (situation de quasi-pénurie, ndlr) nous a dispensés, en tant que producteurs, de constituer des réseaux. Dans le contexte de l'époque, il n'existait pas de publicité, on n'en avait pas besoin, comme on n'avait pas besoin d'une flotte de camions pour livrer note marchandise. On peut grosso modo distinguer 3 acteurs principaux dans le secteur de production textile : les producteurs étrangers, le producteur privé national et le producteur public national. Dans ce schéma, on peut constater que l'Algérie, pourtant proche de l'Europe, n'a pas bénéficié de la moindre délocalisation industrielle européenne, alors que la Tunisie a vu débarquer chez elle 256 unités et le Maroc 300, environ. En Algérie, on a vainement attendu l'arrivée de sous-traitance ou des IDE dans ce domaine. En ce qui concerne le secteur privé national, les producteurs les plus anciens parmi ceux qui ont honorablement défendu le pavillon national ont presque tous mis la clef sous le paillasson, après avoir progressivement perdu à partir des années 2000 leurs parts de marché, sans que les pouvoirs publics bronchent, malgré tous les appels à l'aide. Ceux qui continuent d'activer sont peu nombreux et représentent une production très marginale par rapport à la concurrence étrangère. Existe-t-il des solutions envisageables pour sauver ce qui reste du secteur ? On a espéré le renouveau de l'activité du secteur avec l'arrivée des expatriés algériens qui possèdent une expertise et un savoir-faire appréciables. Avec l'Ansej, on a espéré du sang nouveau avec la jeunesse, la créativité, en un mot un élan renouvelé. Mais les difficultés pour pénétrer le marché sont devenues énormes. Le secteur du textile exige des capitaux beaucoup plus conséquents que ceux qu'accorde l'Ansej. Ni l'Ansej ni l'émigration n'ont pu répondre aux attentes du secteur textile national. Quant au secteur public qui disposait d'une part importante de l'industrie textile, il a été bâti en une dizaine d'années et a coûté la bagatelle de 2,5 milliards de dollars. De gros complexes ont été construits pour finalement travailler sans aucune relation avec le marché et ses besoins. L'ouverture de l'économie du pays leur a été fatale, car ils ne pouvaient rivaliser avec le niveau de productivité chinois ni s'adapter aux coûts, ou se réorienter vers la fabrication de produits de luxe, par exemple. Les pratiques informelles leur ont porté le coup de grâce et le secteur dans sa totalité se retrouve au bord de l'asphyxie. Il existe des solutions. Si nous pouvions imiter nos voisins. Pour battre les Chinois, nos voisins se sont placés sur deux marchés où les Européens ont besoin d'eux. Le marché du textile a en effet évolué vers un rythme de production porteur de créations permanentes. Avant, la tradition respectait deux collections, une pour l'été et une pour l'hiver. Aujourd'hui, chaque mois voit la sortie d'un nouvel article. Les Européens peuvent s'adresser aux Chinois, pour les deux collections été-hiver, en dehors des productions basiques (chemises blanches, pyjamas, tee-shirts blancs, etc.), mais tout le reste de la mode devant être réalisé rapidement est confié à des producteurs proches, d'où l'avantage important dont disposent la Tunisie et le Maroc sur le marché de la nouveauté et du réassort (réassortiment). La pratique du réassort est née du fait qu'on ne sait jamais ce que réserve le marché à un produit nouveau, question couleur, coupe ou forme, au contraire de la collection classique. Dans la pratique du réassort, on met sur le marché une faible quantité d'articles et si l'essai est concluant, on passe des commandes plus importantes, d'où la nécessité de la proximité des ateliers de confection. Les Marocains se sont mis dans cette pratique du réassort depuis 2005. Est-ce que l'Algérie peut se mettre dans ce créneau ? Malheureusement non : les acteurs du secteur privé ont jeté l'éponge pour la plupart et ceux du secteur public ne peuvent y prétendre pour des raisons connues, dues à la taille des entreprises, trop grandes et donc peu flexibles, à leur organisation administrative et financière, trop bureaucratique, donc très peu réactive. Sans compter les procédures d'exportation trop lourdes et tout à fait inadaptées aux exigences actuelles de l'économie et de la concurrence.