Ces magasins sont reconnaissables à leurs rideaux défoncés et à la saleté de leurs murs lézardés. La façade maritime d'Alger, depuis Bologhine, est parsemée de chefs-d'œuvre architecturaux dans la souffrance et à l'abandon. Ce silence étrange autour du parc immobilier privé à l'état d'abandon ne suscite pas de réactions des autorités publiques. Dans de très nombreuses APC, on recense ces biens immobiliers en ruine ; pourtant, les communes souffrent de manque d'espaces à usage public : crèche, dispensaire, centre de loisirs, commissariat de proximité, bibliothèque, caserne de pompiers ou antenne administrative pour décentraliser les services administratifs. La qualification de « bien vacant » semble être consacrée au seul patrimoine immobilier cédé à l'indépendance. En réalité, il s'agit d'un terme juridique qui qualifie tout bien laissé à l'abandon par ses propriétaires durant une tranche de vie. En général, l'alerte est donnée par le Trésor public quand il y a défaut de paiement annuel des taxes imposées au propriétaire. Dans la plupart des pays, un silence de plus de dix ans vaut renoncement au droit de propriété. Au-delà de ce délai, un changement de statut s'impose par une procédure de cession au profit de l'autorité publique. Le silence énigmatique autour du parc immobilier ,abandonné depuis de longues années, fait de l'Algérie un pays atypique. Les collectivités locales, plutôt embarrassées qu'indifférentes, semblent incapables de réagir à cette réalité, faute d'un dispositif légal réactualisé et à défaut d'une franche volonté politique d'assainissement du capital immobilier. Il suffit d'un regard, même furtif le long de nos routes, pour constater avec amertume ces terres agricoles en friche, les nombreuses caves viticoles ou des fermes dont il ne reste que les murs, les villas et châteaux en ruine, ou les centaines de locaux commerciaux urbains fermés depuis des lustres. La façade maritime d'Alger, depuis Bologhine, est parsemée de chefs-d'œuvre architecturaux dans la souffrance et à l'abandon. Le dommage est indiscutable, du moins pour l'esthétique de l'urbanisme, sans compter les commentaires sarcastiques dont on imagine la teneur chez les étrangers qui découvrent les vestiges d'une capitale gérée sans le moindre souci sur le plan urbain. Pour la commune d'Alger-Centre, le plus visible des sites commerciaux jeté aux oubliettes est, sans conteste, l'ancien Bon marché, un lieu culte qui rivalisait avec les Galeries algériennes. Fermé depuis plus de trente ans, c'est aujourd'hui une plaie hideuse devenue source de putréfaction. Balayé par un courant d'air irrespirable, ce zoo malfamé offre un refuge aux rongeurs dans le cœur même de la rue Larbi Ben M'hidi. Les riverains, âgés de trente ans, ne savent même pas à quoi servait ce hangar. Dans la même artère commerciale, juste en face du Bon marché, un autre centre de distribution est fermé depuis une quinzaine d'années. Il fait partie d'un ancien réseau de distribution de Sonipec devenue Districht, spécialisée dans la chaussure, le cuir et ses dérivés. Cette société, qui a disparu dans la tourmente du néo-capitalisme, disposait d'un parc de centaines de locaux commerciaux du même type à travers le pays, tous légués à l'oubli. Celui du n°109 de la rue Mohamed Belouizdad, à Belcourt, est franchement transformé en local poubelle sans accès pour le nettoyage des débris alimentaires qui nourrissent les rats et les chats errants. Le long de la rue Ahmed Chaïb, ex-rue Tanger, plusieurs propriétaires ont mis la clé sous la porte et disparu sans laisser de traces. Ces magasins sont reconnaissables à leurs rideaux défoncés et à la saleté de leurs murs lézardés. C'est le cas d'un ancien réparateur de chaises et fauteuils, décédé depuis au moins vingt ans qui occupait un sous-sol de la rue Seddik Ben Abdelaziz. Le local fermé est une offense à l'hygiène et à la salubrité, situé paradoxalement à quatre mètres de la direction de wilaya pour l'hygiène et le tourisme et dans le voisinage de l'Assemblée nationale. Dans la plupart des communes du pays, il y a une ou plusieurs « dar el ghoula », celle de Blida a hébergé l'infortuné roi du Bénin, forcé à l'exil par les Français. Ces lieux maudits font partie du paysage et servent parfois de station de crimes à l'abri de toute surveillance. Les APC, daïra ou wilaya n'osent pas affronter le problème, de peur de mettre le doigt sur un problème aux dimensions peut-être insoupçonnables. Comme si la notion de propriété privée était en dehors de la loi et dépasserait le niveau du sacré. Pourtant, dans toutes les APC, il n'y pas d'espace pour des activités dédiées à la santé, à l'enfance et la jeunesse. Cette légèreté coupable de l'autorité administrative, vis-à-vis d'un problème d'assainissement du parc immobilier privé, a des conséquences sur le bien-être, la santé et la sécurité des riverains. La loi n'empêche pas l'affectation de ce parc qui tombe en ruine, vers des destinations à caractère public, à l'exemple des anciennes Galeries algériennes sauvées in extremis de la destruction, pour être l'un des plus beaux musées de la capitale.