Saïd Sadi a achevé récemment un livre sur l'une des figures les plus illustres de la guerre de Libération nationale, à savoir le colonel Amirouche, chef de la Wilaya 3. Ce récit est intitulé Amirouche. Une vie, deux morts, un testament. On attend cependant sa publication. L'auteur prend la précaution d'éviter une vision linéaire, chronologique et segmentaire pour retracer le parcours de cet illustre combattant. Et cela, à l'effet de mettre en lumière comment, pourquoi et par qui les restes des colonels Amirouche et Si El Haouès, morts les armes à la main le 29 mars 1959 à Bou Saâda, ont été déterrés en catimini en 1964. Ils ont ensuite été cachés dans une caserne de la Gendarmerie nationale. Ce n'est qu'en 1983 que les ossements des deux combattants ont été libérés des alcôves des fossoyeurs de l'histoire pour enfin ouvrir droit à une sépulture, après en avoir été privés ainsi vingt ans durant. Durant toute cette période de « séquestration », qualifiée par l'auteur de « deuxième mort », et jusqu'à une période récente, Amirouche subit les mêmes anathèmes que ceux dont l'armée coloniale a tenté en vain de l'accabler. Anathèmes traduits par le fait d'avoir été à l'origine de certains événements ayant marqué tragiquement la guerre de Libération nationale, à l'exemple des massacres de Melouza et des exécutions de la « nuit rouge » de la Soummam. Après l'indépendance, l'homme est qualifié, comme durant la période coloniale, de « sanguinaire » et d'« anti-intellectuel ». « Prenant le relais après l'indépendance, l'armée algérienne, c'est-à-dire l'armée des frontières ou, pour être encore plus précis, la Sécurité militaire – et donc Boumediène et son ‘makhzen' – qui a également construit son pouvoir sur les assassinats, la censure, les fraudes électorales et la corruption, s'attellera à l'une des entreprises de désinformation post-indépendance les plus cyniques en s'acharnant à construire la contre-légende Amirouche : islamiste avant l'heure, paranoïaque, sanguinaire, anti-intellectuel, arrogant... rien ne fut épargné au colonel de la Wilaya 3 » (p. 16). Et de poursuivre : « Ne parvenant toujours pas à occulter la vénération que vouaient à Amirouche ses hommes et plus généralement la population, Boumediène, digne héritier de Boussouf, recourut à la solution radicale : la mort symbolique. Il fit déterrer clandestinement ses restes pour les séquestrer dans la cave de la Gendarmerie nationale (…). Privé de vie par l'armée coloniale, Amirouche était interdit de mort par Boumediène » (p. 16). Saïd Sadi rappelle aussi, à cette occasion, des événements ayant marqué cette période de guerre, à l'exemple du Congrès de la Soummam, de l'affaire de la Bleuite et de l'opération Jumelle. Comme il revient sur les mémoires de Ali Kafi et les relations de Ben Bella avec Fethi Dib, le chef des moukhabarat égyptiens. Des figures historiques sont évoquées. Cela dit, au-delà de cette entreprise complexe qui consiste à revisiter le parcours du colonel Amirouche, le récit traduit cette manière de regarder l'histoire devant et non derrière soi. Un passé qui exclut le passéisme. D'autant que pour l'histoire, quand le mort saisit le vif, la mémoire se ghettoïse, s'effiloche pour finir par phagocyter l'avenir.