Le taux de réussite ascendant au Bac, annoncé chaque année avec fanfare par le MEN et ce, depuis son engagement dans l'actuelle réforme scolaire, ne peut nous tromper : l'école algérienne n'avance pas ; elle est en train de patauger dans d'énormes problèmes. A quoi est dû l'échec des réformes de Benbouzid et son équipe ? Ci-après quelques éléments de réponse à la question. Tout d'abord, avant d'entamer toute réforme dans un secteur aussi sensible que l'éducation, il faudrait ouvrir un débat national public (1), afin de sensibiliser la société et la préparer au changement à venir. Chose qui n'a jamais été faite à notre connaissance, ni sur les médias lourds très influents ni sur la presse, à l'exception de quelques articles épars parus dans quelques quotidiens indépendants. Ensuite, il faudrait dresser un état des lieux exhaustif et fondé sur des missions de terrain pour constater de visu les conditions dans lesquelles se pratiqueront les nouvelles orientations et auditionner les divers acteurs et utilisateurs de ces orientations (2). Chose qui semble avoir été faite partiellement ; c'est-à-dire en se limitant aux zones urbaines. D'ailleurs, même dans la phase expérimentale, on n'a lancé des classes dites pilotes que dans certains établissements situés en ville. Le MEN et son équipe, ignorent-ils à ce point qu'on ne peut concevoir des programmes nationaux réussis en se basant uniquement sur des données recueillies dans un espace restreint, la ville, plus favorable à l'enseignement / l'apprentissage en raison de la disponibilité des infrastructures (librairies, bibliothèques, salles d'informatique, internet, etc.) ? Donc, ayant négligé certains aspects de cette première phase très importante dans l'opération de réforme du système éducatif, Benbouzid et son équipe ne peuvent avoir qu'une vague idée des problèmes et des besoins de l'école algérienne et de sa capacité d'adaptation à la nouvelle approche. Autrement dit, le diagnostic étant partiel, le remède ne peut être qu'erroné. La réalité du terrain Une simple enquête à l'échelle d'une daïra de l'intérieur du pays nous révélera qu'il y a déjà un manque assez sensible en établissements scolaires (3), tous paliers confondus. Et un simple coup d'œil à l'intérieur des établissements existant nous fera découvrir qu'en raison du manque d'écoles, les classes sont surchargées (+40 élèves/classe dans certaines écoles), et que les moyens pédagogiques et les infrastructures (bibliothèque scolaire, laboratoires des sciences / langues, salle d'informatique, réseau internet / internet, etc.) y font affreusement défaut. Ajoutons à cela le fait que l'enseignant n'a jamais été sérieusement préparé pour enseigner avec la nouvelle méthode basée sur l'approche par compétences ; il y avait certes eu des stages dits de perfectionnement à une certaine époque, mais que peut apprendre un enseignant d'un collègue-formateur du même niveau que lui ? Même les conférences et les journées dites d'étude/de formation, organisées par les inspecteurs de matières, ne sont enfin de compte d'aucune utilité, car la réalité du terrain, telle qu'on l'a décrite supra, rend leurs directives, basées uniquement sur la théorie, irréalisables. L'approche par compétences repose sur l'idée que l'élève possède déjà des prérequis et il suffit qu'il les mobilise, avec l'aide de l'enseignant si nécessaire, pour résoudre les problèmes auxquels il fera face dans les diverses situations d'apprentissage. Cela peut être vrai, et bien que dans une certaine mesure, si l'étudiant vit dans une société ouverte et instruite et elle-même évoluant dans un environnement où infrastructures et technologies modernes ne font pas défaut. Car, dans ce cas, entouré par des gens instruits et s'entraînant à une variété d'activités aussi pleines de défis les unes que les autres, l'apprenant aura acquis certaines compétences de base, qui peuvent être alors activées et perfectionnées par l'enseignant en classe, mais en plaçant l'élève dans des circonstances semblables à celles vécues au quotidien. D'ailleurs, pour toutes ces considérations, les thèmes proposés dans les nouveaux manuels sont tous liés à la vie quotidienne des apprenants, et l'enseignant est tenu de conclure chaque unité pédagogique par un projet que les élèves réalisent sur la base de données réelles, collectées sur le terrain en utilisant des techniques et des équipements utilisés dans la vie moderne. Il est clair que l'enseignant et l'élève qui ont la chance de vivre en milieu urbain ne peuvent qu'être satisfaits de leur travail avec cette nouvelle méthode. Mais qu'en est-il de l'élève et de l'enseignant qui vivent dans des régions éloignées, comme c'est le cas dans certaines régions de la Kabylie et du sud de l'Algérie, où les conditions sont comparables au « désert culturel » ? (4)Dépourvues d'un nombre suffisant d'établissements scolaires, certaines régions du pays sont contraintes d'entasser une quarantaine, voire une cinquantaine d'élèves dans chaque classe. Pis encore, les établissements fonctionnent avec des moyens rudimentaires ; id est juste avec un tableau noir et un bout de craie. Dans de telles conditions, aucun enseignant, puisse-t-il être ultra-motivé et ultra-compétent, ne sera en mesure d'exécuter avec satisfaction les nouveaux programmes avec la nouvelle méthodologie. C'est que, surchargée, la classe empêche toute mobilité, d'où l'impossibilité de constituer des groupes de travail tels que exigé actuellement. Et si l'on ajoute l'indisponibilité à l'intérieur des établissements des moyens pédagogiques modernes, comme l'internet, ou la difficulté d'accès à celui-ci à l'extérieur pour les filles (qui forment plus de la moitié de chaque classe) en raison des considérations culturelles, l'on ne peut que s'accorder sur l'inévitabilité d'échec qui guette chaque jour en classe et l'enseignant et l'apprenant. Naturellement, l'enseignant essaiera toujours de limiter les dégâts en recourant à la vieille démarche dite « transmissive », mais ce sera à son propre péril, car les directives des inspecteurs sont catégoriques : ne plus jamais transmettre le savoir à l'élève ; celui-ci est là pour améliorer ses compétences !Avec la multiplicité des classes à gérer par chaque enseignant, la surcharge des classes est également une entrave pour l'évaluation dite continue (5). Normalement, pour le suivi de chaque élève, l'enseignant doit ouvrir un portfolio individuel contenant des grilles d'évaluation. Mais comment cela sera-t-il possible lorsqu'un enseignant se voit confié jusqu'à sept classes dont chacune dépasse largement une trentaine d'éléments ? Ce n'est donc pas étonnant que beaucoup d'enseignants, la plupart osera-t-on dire, pour remplir la colonne réservée sur le bulletin à la note de l'évaluation continue, n'utilisent en fait qu'une seule note ; celle qui se rapporte à un seul aspect facilement observable chez l'élève en classe : le comportement. Et comme si tout cela ne suffisait pas, l'on emprisonne l'élève dans un emploi du temps quotidien hermétiquement fermé de 8 h jusqu'à 17 h. A l'exception des deux jours du week-end qu'il devrait consacrer en partie pour se délasser et en partie pour réviser, l'élève ne possède presque aucun temps libre pendant la semaine, pour effectuer des recherches pour ses projets dans chaque matière. Là encore, ce n'est pas étonnant que ces travaux de recherche soient bâclés ; très souvent, ils ne sont qu'une photocopie du même travail réalisé par un élève fortuné ou même par le gérant d'un cybercafé ! D'où l'impossibilité pour l'enseignant d'évaluer le travail sérieusement et lui attribuer une note sérieuse. Pour finir, l'introduction de l'approche par compétences dans l'enseignement algérien est un travail d'envergure dans lequel des groupes de travail composés d'enseignants, de responsables ministériels et de collaborateurs scientifiques étrangers auraient dû être engagés. Les travaux auraient dû être coordonnés par un service de coordination de la recherche et de l'innovation pédagogiques et technologiques du MEN, et ils auraient dû bénéficier de l'accompagnement d'instituts étrangers ayant une grande expérience dans la mise en œuvre de cette approche. Mais, puisque rien de cela n'a été fait et que le terrain n'a pas été préparé, la nouvelle approche d'enseignement / d'apprentissage, introduite précipitamment et presque à l'insu des concernés, au point qu'elle a mis les éducateurs dans un total désarroi, ne peut qu'échouer en Algérie, hypothéquant par conséquent l'avenir de toute une génération d'apprenants. Dr M. : PES syndiqué au CNAPEST Notes : (1) « Une réforme doit impliquer tous les acteurs concernés, à savoir les enseignants, les parents d'élèves et les syndicats. Chez nous, c'est ce manque de concertation et de dialogue qui ont engendré l'échec total de toutes les réformes du système éducatif », explique Mohamed Chérif Belkacem, DG de l'Ecole supérieure de gestion (ESG), dans un des rares forums organisés autour du thème de l'éducation dans les journaux nationaux. (El Watan, édition du 14 juillet 2009). (2) Certes, en mai 2000, il y a eu l'installation de la Commission nationale de réforme du système éducatif (CNRSE) présidée par Benzaghou ; commission dite composée d'universitaires, de pédagogues et de représentants de différents secteurs d'activité ou de la société civile. Malheureusement, le rapport final basé sur les données du terrain recueillies par la Commission nationale des programmes (CNP), dont dépendent les Groupes spécialisés de disciplines (GSD), n'a jamais vu ses recommandations appliquées ; c'est un rapport jeté tout simplement aux oubliettes en raison, paraît-il, de sa nature jugée trop moderniste par les gardiens du temple de l'obscurantisme. (3) Le nombre d'écoles (18 770), de collèges (4137) et de lycées (1541) à l'échelle nationale est certes considérable, surtout pour les deux premiers paliers, mais trompeur. Trompeur, car si l'on considère la capacité d'accueil de nos établissements, l'on découvre que le nombre de classes/de groupes pédagogiques y est, pour la plupart, très réduit, ce qui augmente le nombre d'élèves par classe. (4) L'approche par compétences fait davantage appel à un haut niveau de culture générale et de maîtrise du langage que l'approche traditionnelle, ce qui ne manquera pas de favoriser les enfants issus des familles aisées et /ou des zones urbaines. (5) Pour être vraiment utile, l'évaluation ne doit pas se contenter d'une note chiffrée sur le bulletin. Elle doit tout d'abord documenter la progression de l'élève et sa façon d'apprendre (évaluation formative), ensuite elle doit mesurer les acquis de l'élève à des moments donnés (évaluation certificative). Ce n'est qu'ainsi que l'enseignant pourra posséder des données fiables sur les forces et les faiblesses de son élève, afin de mieux informer et celui-ci et ses parents.