L'armée du maréchal Khalifa Haftar est parvenue, en moins d'un mois, aux frontières algéro-libyennes ; la population du Sud est satisfaite ; les Tchadiens sont partis ; le calme commence à revenir et le terrorisme a reçu un sacré coup. Al Sarraj et Misrata sont coincés. La communauté internationale est prise au dépourvu. Le gouvernement de réconciliation nationale de Fayez Al Sarraj ne s'attendait pas à ce que son avenir se joue au Sud libyen, cette région désertique et sous-peuplée, livrée à elle-même depuis la chute d'El Gueddafi en 2011. Pourtant, la campagne de Haftar au Sud, entamée le 15 janvier dernier, a déstabilisé complètement le gouvernement central de Tripoli. Al Sarraj est resté spectateur stupéfait, alors que l'Armée nationale de Haftar stabilise les villes du Sud et les institutions du gouvernement de l'Est prêtent mainforte à leurs alliés du Sud. La réaction de Tripoli s'est limitée à une plainte contre Haftar au Conseil de sécurité pour un incident à l'aéroport du champ pétrolier d'Al Fil. Lorsqu'on parle de l'Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar, les analystes et les observateurs comprennent l'axe Le Caire-Abou Dhabi-Riadh, voire Moscou et Paris. Que l'ANL avance aussi rapidement dans le Sud-Ouest libyen, cela veut dire que Haftar a bien préparé sa campagne et noué des alliances avec les tribus de la région. Cela veut aussi dire que l'axe opposé Doha-Ankara et, derrière, Londres et Rome, ne dispose pas d'une arrière-garde solide à travers ses alliés de Tripoli et Misrata. C'est ce qui explique les visites, dimanche et lundi derniers, des ambassadeurs italien et britannique à Tobrouk et Benghazi pour rencontrer les dignitaires de l'Est, le maréchal Khalifa Haftar et le président de l'Assemblée nationale, Aguila Salah, en tête. Britanniques et Italiens ont compris que la donne a changé en Libye et qu'il fallait bouger. Nul ne s'attendait à des développements aussi rapides au Sud libyen. L'ANL de Haftar a éliminé, en 48 heures, deux dirigeants d'Al Qaîda (Abou Talha Ellibi et Omar Jomaâ Chaâlali), activement recherchés par les réseaux internationaux de l'antiterrorisme. Les Tchadiens de l'Union des forces de résistance (UFR) de Timan Erdimi ont pris la fuite vers le nord du Tchad, où ils ont été cueillis par l'aviation française de l'opération Barkhane. Les unités à dominante touareg au sein de l'Armée libyenne, notamment à Oubari, se sont rangées du côté de Haftar et ont remis à l'ANL le contrôle du champ pétrolier de Charara, le plus grand de Libye (340 000 barils/jour), mettant en difficulté le président l'Entreprise nationale du pétrole, Mustapha Sanaallah, qui préférait traiter avec Al Sarraj plutôt qu'avec Haftar. Aujourd'hui, Sanaallah est sous pression pour rouvrir le champ de Charara, selon les conditions imposées par Haftar, comme pour la région de l'Est. Près de 80% des richesses pétrolières libyennes sont sous le contrôle de l'ANL. Stupeur internationale A peine la ville de Sebha stabilisée, la section de Benghazi de la Banque centrale libyenne a transféré 82 millions de dinars vers la section de Sebha, qui les a injectés dans les banques du Sud. Dans la foulée, le ministère de la Santé du gouvernement provisoire a procédé à l'approvisionnement des hôpitaux de la région en médicaments et fournitures médicales. La raffinerie de Briga a envoyé des caravanes de camions-citernes vers le Sud, pour mettre fin à la crise de carburant. Le chef du gouvernement provisoire, Abdallah Al Thani, a ordonné le départ de 100 semi-remorques d'aliments de base, qui ont été distribués gratuitement dans tous les villages du Sud. Cette attention spécifique au Sud libyen, de la part du gouvernement provisoire de Abdallah Al Thani, basé à Kobba, vient en opposition avec les suites de la visite de Fayez Al Sarraj, au champ pétrolier de Charara en décembre dernier. Le chef du gouvernement de réconciliation est allé à Charara pour tenter de trouver une solution au blocage du champ par les manifestants du Mouvement de la colère de Fazzen. Fayez Al Sarraj avait alors promis de résoudre, immédiatement, les problèmes vitaux (liquidités dans les banques, carburants et produits de première nécessité) et de mettre en application des projets de développement de 1 milliard de dinars, dans le Sud, pour résoudre les problèmes de chômage. Mais, près de deux mois après cette visite, la situation n'a pas bougé d'un iota. C'est ce qui explique, par ailleurs, le fait que le champ de Charara n'a pas été rouvert. Il est clair que le gouvernement de l'Est libyen a pris Tripoli à contre-pied, malgré le fait que les moyens de l'Etat soient entre les mains de la capitale libyenne et que l'Est soit très mal loti dans les attributions de développement. Pourtant, le gouvernement de Abdallah Al Thani a eu la lucidité politique de faire ces gestes qui resteront, à jamais, gravés dans les mémoires de la population de Fezzan. Cela a renforcé la concordance, installée depuis les premiers jours de la campagne de l'armée au Sud, avec l'élimination des leaders d'El Qaîda et le recul du crime organisé, notamment à Sebha. L'envoyé spécial de l'ONU, Ghassan Salamé, a insisté sur ce point dans une interview sur Al Arabia. L'Est libyen, son gouvernement et ses institutions ont su montrer à leurs concitoyens du Sud qu'ils sont à la hauteur de l'espoir né de la campagne de l'armée de Haftar. Al Sarraj et Misrata ont raté le coche. L'avenir de la Libye s'est peut-être joué ici.