La colère qui était jusque-là sourde explose au grand jour et surtout au grand dam des détenteurs du pouvoir politique. Le rejet de la candidature de Abdelaziz Bouteflika est sans commune mesure, avec des slogans puissants qui révèlent l'ampleur de l'exaspération des larges couches de la société, notamment la jeunesse. Il souffle un vent de colère sur le pays. Il annonce une insurrection qui monte. L'absurde annonce de la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour briguer un 5e mandat présidentiel est vécue comme une suprême humiliation infligée à la nation toute entière. Surfant sur un sentiment de résignation nationale et une supposée démobilisation générale des Algériens, les partisans de la «continuité» ont cru faire passer sereinement le projet d'un autre quinquennat. Sans mesurer le risque politique d'une telle option, ils comptent sur un habituel passage en force, comme l'a laissé entendre le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, en affirmant non sans arrogance sa «maîtrise» de la rue. Un défi provocateur lancé à la figure des Algériens qui précède le choc qu'allait susciter l'annonce de la candidature du Président sortant. Balayant avec mépris les mises en garde des plus modérés de la classe politique – avec lesquels ils refusent toute négociation –, les équipes autour de Abdelaziz Bouteflika agissent avec beaucoup de légèreté politique et sans tenir compte des incalculables conséquences de leurs actes. Sans doute par souci de préserver le pouvoir et les immenses intérêts qu'il procure, mais surtout pressés par une situation inédite à laquelle elles sont confrontées en interne. Absence d'une alternative mûrement réfléchie et soigneusement élaborée et manque d'un accord large autour d'une candidature dite «naturelle» de succession. La tactique dictée sous le sceau de l'urgence l'a manifestement emporté sur la stratégie. C'est le marqueur même du règne de Bouteflika fondé également sur le refus obstiné d'établir des passerelles avec les partis politiques de l'opposition et de négociation permanente sur les questions qui engagent le pays. Cette aversion à l'égard de l'intermédiation politique et sociale, accompagnée d'un mépris des instituions formelles, a conduit au bout de 20 années de pouvoir absolu à un face-à-face inédit avec la rue. Une rue qui vient brusquement bousculer le jeu politique qui se déroule à huis clos. Depuis la fameuse annonce du 10 février passé, dans plusieurs villes du pays s'exprime une indignation avant de prendre une forme de mobilisation dans la rue avec des mots d'ordre forts. La colère qui était jusque-là sourde explose au grand jour et surtout au grand dam des détenteurs du pouvoir politique. Le rejet de la candidature de Abdelaziz Bouteflika est sans commune mesure, avec des slogans puissants qui révèlent l'ampleur de l'exaspération des larges couches de la société, notamment la jeunesse. Partie des régions de l'intérieur, la colère grandit et gagne les grandes villes et se massifie à mesure que les partisans de la «continuité» multiplient les provocations. D'Est en Ouest, dans les rues et dans les stades de football, organisée ou spontanée, avec ou sans direction, la contestation du 5e mandat gagne du terrain. Elle dépasse les cadres traditionnels et déborde les partis. Touchés dans leur dignité de citoyens, les Algériens semblent décidés à en découdre. Ils se dressent avec détermination contre un «candidat fantôme» et les partisans du statu quo incarnés par des partis de la coalition gouvernementale, les hommes d'affaires organisés dans le Forum des chefs d'entreprise, la centrale syndicale et tout le personnel politique qui gravite dans la galaxie de Abdelaziz Bouteflika. Ce rejet pourra prendre la forme d'une large révolte citoyenne demain à la faveur des appels à sortir dans la rue dans tout le pays. C'est un vendredi décisif pour tout le monde. D'abord pour le pouvoir politique qui sera confronté à un sérieux test avec les Algériens. Il doit faire preuve d'une grande responsabilité et devra surtout tenir compte de cette colère qui monte et tirer rapidement les leçons. Plus que jamais, le temps presse. Les Algériens ne sont pas «heureux» à l'annonce de la candidature de Abdelaziz Bouteflika, comme veut le faire croire le Premier ministre Ahmed Ouyahia. Ils se sentent humiliés, ils sont en colère. La conjecture inédite pourrait déboucher sur des trajectoires toutes aussi inédites. Il ne s'agit pas de paniquer, mais d'écouter le cœur battant de la nation et surtout répondre sans ruse à une aspiration nationale. Au-delà du pouvoir dont la responsabilité de ce qui arrive est totale, la situation interpelle également l'ensemble de la classe politique. L'heure n'est pas aux calculs de replacement ou de positionnement. C'est le destin d'un pays qui est en jeu. L'instant est tout sauf banal. C'est un moment national décisif.