Grosse colère chez les agents immobiliers coincés entre les nouvelles mesures réglementant la profession, la concurrence déloyale des courtiers fraudeurs (smasra) et le dernier rapport du ministère de l'Intérieur qui les accuse d'activités illégales. « Je traîne 30 ans d'expérience derrière moi et aujourd'hui, on me demande de me former ?! » Ammi Boudjemaâ, 60 ans, agent immobilier à El Biar, est intrigué. Depuis l'entrée en vigueur du décret exécutif du 24 janvier 2009 régissant l'activité des agences immobilières, un bras de fer opposant les professionnels du secteur et les autorités est engagé. Les membres de la Fédération nationale des agences immobilières (FNAI) ont observé en février dernier un sit-in devant le siège du ministère de l'Habitat afin de protester contre ces nouvelles mesures. D'autant qu'un rapport du ministère de l'Intérieur les accuse de se livrer à des activités illégales, tel le blanchiment d'argent. Mais à quoi les contraint cette nouvelle loi ? Les agents immobiliers sont désormais obligés de disposer d'un diplôme universitaire pour se voir agréés auprès du ministère de l'Habitat, mais la nature du diplôme n'est pas précisée. Le véritable problème : son effet rétroactif oblige aussi les plus anciens à justifier d'une formation. « Il est inadmissible de demander à un agent qui cumule des années d'expérience de se conformer à une nouvelle mesure », clame par solidarité Samira Zabentout, juriste de formation et gérante de l'agence immobilière La Résidence. Hichem, gérant d'une agence immobilière algéroise, pense au contraire qu'il est nécessaire d'assainir le métier et de se débarrasser des parasites. Exiger un diplôme universitaire est peut-être une solution tout en reconnaissant que pour les plus anciens, qui exercent ce métier par passion, « il est anormal de leur demander un diplôme ! ». Et l'un d'entre eux de préciser : « Vous savez, à l'Indépendance, nous n'étions pas nombreux à avoir fait des études. » Et de conclure : « Ils veulent en finir avec nous pour laisser d'autres individus errer à leur guise. » Allusion faite aux smasra (courtiers fraudeurs) qui, d'après les agents immobiliers, nuisent à leur profession et « spéculent à tout bout de champ ». « Je peux vous assurer que leur nombre est bien plus important qu'on ne l'imagine », déclare Hichem d'un air accusateur. Les courtiers fraudeurs, selon la FNAI, représenteraient le double de la corporation, contrôlent le marché de l'immobilier, fixent les prix des achats et des ventes et se mettent au travers des agents immobiliers. Les smasra entrent en jeu « Non seulement ils polluent l'environnement de notre activité en prenant des parts de marché importantes, mais ils se présentent aussi comme de véritables agents immobiliers », fulmine ammi Kouider, trente ans de métier. La nouvelle loi évoque le métier de « courtier » qui devient ainsi licite (les fraudeurs ne payaient pas d'impôts et leur responsabilité était difficile à identifier en cas de problèmes), sans toutefois préciser son rôle et ses missions. Les agents immobiliers disent ne pas comprendre « ce que cela signifie », la présence sur le marché des ses courtiers considérés par les professionnels comme des « intrus » ne ferait, selon eux, qu'« aggraver les choses » et « pousser les agents honnêtes à fermer boutique », crie ammi Kouider. L'anonymat en toile de fond Le comportement de certains clients, « peu collaborateurs » est l'autre problème soulevé par cette corporation qui emploie plus de 18 000 agents. Les clients, selon les agents immobiliers que nous avons rencontrés, réclament la confidentialité et la discrétion dans leur rapport avec eux. « Parfois, ils nous donnent seulement leur prénom », révèle l'un d'eux. Si l'agent ne se conforme pas à cette règle érigée en mode de transaction, le client change de boutique. Le pire est que certains « vous écartent une fois le contact établi, une fois demandé le prix de nos honoraires ! », poursuit la gérante de La Résidence. Pourtant, le métier d'agent immobilier est régi par des règles très strictes. « Pour toute transaction, nous devons remplir un fiche de renseignements à envoyer après chaque transaction aux services de sécurité (police ou gendarmerie) », explique Mme Zebentout en avouant : « Quand un client s'adresse à moi pour acheter un bien, je ne vais tout de même pas l'interroger sur l'origine de ces fonds ! » Même son de cloche chez ammi Boudjemaâ. « Je ne suis pas un gendarme. » Et Hichem d'expliquer : « La majorité des transactions se fait en espèces et les prix déclarés sur les contrats notariaux et aux services des impôts sont bien en dessous des prix réels, ce qui facilite grandement la tâche aux fraudeurs… » Selon lui, « c'est à l'Etat de réguler les transactions commerciales en obligeant les gens à passer au paiement par chèque », en s'interrogeant sur la décision prise par le gouvernement quant à l'obligation de paiement des sommes dépassant les 50 000 DA soit par chèque, soit par virement bancaire. Pas encore visible sur le terrain. Si le ministère de l'Intérieur, dans un rapport établi en début d'année, « accuse les agents immobiliers de malversations et d'implication dans les affaires de blanchiment d'argent », les agents que nous avons rencontrés s'insurgent. Pour la nouvelle génération, « il serait idiot de penser que quelqu'un qui veut blanchir de l'argent fasse appel à une agence immobilière ». Pour Mourad, 35 ans, gérant d'une agence immobilière à El Harrach, « ce genre d'opération se fait de particulier à particulier », explique-t-il en connaissance du terrain. Selon nos agents immobiliers, les smasra assurent à leurs clients « peu honnêtes » confidentialité et discrétion à la fois.