On savait que le phénomène de la corruption est tellement largement répandu en Algérie qu'il a fini par se confondre avec l'acte de gestion. Mais pas au point de devenir une pratique institutionnalisée. Les scandales révélés par El Watan sur des pots-de-vin versés à des cadres centraux par des firmes étrangères engagées dans des projets en Algérie dont notamment ceux de l'autoroute Est-Ouest et de Sonatrach ont choqué l'opinion publique quant à la facilité avec laquelle les deniers publics sont détournés. Versement de commissions, distribution de privilèges sous des formes diverses : paiement des charges locatives de villas meublées, de factures de téléphone, affectation de véhicules et autres avantages annexes, tels que la prise en charge médicale pour eux et leurs proches dans des hôpitaux à l'étranger… Et ce n'est là que la partie émergée de l'iceberg de l'univers de la corruption dans lequel baignent des gestionnaires indélicats, cupides qui portent un grave préjudice au Trésor public et à l'image de l'Algérie dépeinte à raison sous les traits avilissant de pays où tout se vend et s'achète, même la dignité humaine. La corruption a toujours existé et existera toujours. Y compris dans les pays où le menu avantage servi dans un cadre non réglementaire – pour service rendu, pour accéder à un marché ou pour un coup de pouce, pour s'ouvrir des portes closes – est sévèrement sanctionné par la loi lorsque le contrevenant est démasqué. Corrompus et corrupteurs : deux faces d'une même médaille. Dans les Etats de droit, la loi est tout aussi implacable pour réprimer les agissements des uns et des autres. Alors que dans des pays comme le nôtre où la corruption est presque tolérée, banalisée, la lutte contre le fléau de la corruption prend des allures de débat philosophique. Ce sentiment est corroboré par les auditions des cadres dirigeants de l'Agence nationale des autoroutes impliqués dans l'affaire de l'autoroute Est-Ouest lesquels, sans exprimer le moindre regret, ont plaidé non coupables devant les juges pour les avantages divers que leur ont généreusement servis les partenaires étrangers, japonais et chinois, allant jusqu'à présenter ces largesses comme un acte économique et une preuve de rigueur de gestion qui a fait économiser à leur entreprise et donc à l'Etat un gain substantiel. Faut-il définir ou redéfinir le concept de la corruption ? C'est ce que suggère en tout cas la plaidoirie des cadres concernés par l'enquête judiciaire lesquels parlent des avantages reçus de la part de leurs partenaires étrangers comme s'il s'agissait de droits socioprofessionnels acquis. Même leur hiérarchie accusée également d'avoir trempé le doigt dans le pot de miel était au courant de ces pratiques qui ne sont ni nouvelles ni propres à leur secteur d'activité, à en croire les aveux faits devant les juges. Le pot de miel Où s'arrête l'impératif de gestion et où commence le délit de corruption ? Il est clair qu'une entreprise étrangère qui accepte de prendre en charge sur ses fonds propres des cadres dirigeants d'une entreprise avec laquelle elle est en relation d'affaires ne le fait jamais gratuitement. Il y a toujours un « retour sur investissement » qui est attendu. Dans le scandale du projet de l'autoroute Est-ouest, l'importance des avantages servis aux cadres dirigeants de l'entreprise algérienne qui dépassent la gratification sous forme de cadeaux symboliques offerts – une pratique en usage dans le milieu des affaires – altère et parasite la relation de travail liant les cadres indélicats à leur entreprise. C'est à l'évidence à leur entreprise, conformément à la réglementation en vigueur, qu'il appartient de les prendre en charge en termes de logement, de transport et autres avantages socioprofessionnels entrant dans le cadre des droits et indemnités servis aux différents personnels de l'entreprise dont ses cadres dirigeants. La question qui se pose est de savoir comment se fait-il que personne ni aucune structure en amont et en aval de l'entreprise n'ait trouvé à redire sur ces pratiques ? Et pourtant, ces avantages servis sont bien budgétisés et comptabilisés quelque part, dans les comptes de l'entreprise-mère, même si elle n'est pas à proprement parler l'ordonnatrice ! De la même façon, il est intéressant de savoir quelle suite les pouvoirs publics donneront-ils à cette affaire concernant les entreprises étrangères prises en flagrant délit de corruption dans leurs relations d'affaires en Algérie. Faudra-t-il s'attendre à des ruptures de contrat et des poursuites judiciaires à l'encontre des corrupteurs étrangers ? Le corps du délit est le même. La lutte contre la corruption est un combat qui se mène sur tous les fronts. Elle n'aura aucun effet si on ne s'attaque pas avec la même détermination autant aux corrompus qu'aux corrupteurs.