Pour le commun des Algérois, le nom de Oued K'niss est systématiquement lié à un célèbre marché aux puces situé au quartier du Ruisseau. Toutefois, ils sont nombreux à savoir qu'il s'agit d'un oued qui prend sa source quelque part sur les hauteurs d'Alger. Invisible, le lit de cette rivière n'a pas pour autant disparu. Oued K'niss court toujours, enfoui sous terre et cheminant, depuis sa source (originelle) à Châteauneuf, à la sortie d'El Biar, dans une galerie (ou tunnel) de 3 m sur 2,90 m et d'une longueur de 9 km. En d'autres termes, l'oued sert aujourd'hui de collecteur d'égout, « visitable », dont la particularité est de drainer des millions de mètres cubes d'eaux usées et pluviales d'une importante partie d'Alger. Une curiosité touristique à l'instar des célèbres égouts de Paris ? Le propos n'est pas exagéré. Construit durant la période coloniale, selon les mêmes schémas élaborés pour les égouts de la capitale française, le collecteur de Oued K'niss reste un « chef-d'œuvre » du « gruyère » algérois. S'ensuit le collecteur de Oued M'kacel dont les eaux, générées par un orage - le 10 novembre 2001- avaient submergé Bab El Oued et causé la mort d'un millier de personnes. Au lendemain de ce triste événement, un travail pharaonique consistant à dédoubler l'infrastructure, donc la capacité de drainage, a été réalisé en un temps record. La galerie, en forme voûtée, mesure 3 m de hauteur et 2,50 m de largeur. Comme le collecteur est « visitable » au même titre que celui de Oued K'niss, nous nous y sommes rendus, guidés par deux agents de l'Office national de l'assainissement - Agence régionale d'Alger, le maître des lieux. L'entrée du tunnel est située au Triolet. En franchissant le seuil, nous sommes accueillis par le bruit assourdissant des eaux. Une panique à fleur de peau, empreinte néanmoins d'une curiosité à avancer plus loin, plus haut, vers Chevalley. Aidés d'une torche électrique, mais tout en rasant la paroi non sans presser le pas, les « égoutiers » de l'ONA/ARA évoluent ainsi sur un terrain qu'ils connaissent au millimètre près. Dire qu'un égout infesté de bactéries est une lapalissade. Néanmoins, les agents de l'ONA/ARA sont vaccinés deux fois par année, y compris le personnel administratif. Deux collecteurs correspondant à deux oueds, en l'occurrence Oued M'kacel qui prend sa source à Chevalley et Oued B'sakra qui naît en amont du Beaufraisier, convergent vers ce site. La rivière souterraine, augmentée ainsi en débit, continuera sa course pour se déverser dans la mer, à proximité d'El Kettani. « Vous venez de visiter un site de notre très long réseau d'assainissement. Notre mission est de veiller à ce qu'il soit entretenu en permanence pour éviter des inondations », nous lance Rabah Belaouar, conducteur de travaux. Et d'ajouter en guise d'appel : « Nous invitons les citoyens à ne pas jeter des objets solides, car cela obstruera inéluctablement le réseau. » La capitale dispose d'un réseau d'égouts ramifié et de type unique (évacuation des eaux usées et pluviales par un réseau unique), d'une longueur totale de 2700 km. L'équivalent du trajet Alger-Copenhague ( capitale du Danemark). Selon les archives détenues par l'ONA/ARA, l'ancien réseau a été construit entre 1920 et 1956, notamment pour l'essentiel des collecteurs (Oued K'niss et Oued M'kacel). Il faut souligner cependant que la régence d'Alger était dotée d'un réseau d'égouts qui, en plus de la beauté architecturale, n'a rien à envier aux structures modernes. Et pour cause, un « survivant » de la période turque, le collecteur La Lyre (Basse Casbah), est toujours opérationnel. Long de 500 m, il développe une hauteur de 1,40 m et une largeur de 1,20 m. Le visiter, comme cela a été le cas pour nous, c'est voyager dans le temps. Un trajet de... 400 ans.