Des décennies durant, la toute-puissance du régime politique a terrifié, dévalorisé et paralysé le corps social dans son ensemble, ouvertement et insidieusement, sans lui laisser la moindre chance de respirer ni de s'oxygéner de quelque souffle de liberté, de dignité et de rêves possibles. Tout a fonctionné dans le mépris souverain des besoins du peuple, qui sont loin d'être matériels uniquement, et l'absence forcée de contre-pouvoirs réels, censés lancer des alertes et mettre fin aux dérives de toutes sortes et à l'inarrêtable maladie du pouvoir corruptrice des valeurs politique, sociales et humaines. L'individu, désormais ombre de lui-même, abdique ses droits et sa destinée aux mains de puissances au-dessus de ses forces. La société se replie sur-elle-même, atomisée en autant d'hommes et de femmes ligotés, le bâillon dans la bouche.Tenter de changer de vie, espérer une mutation salutaire de la société, contribuer à la réinventeren cité citoyenne matérialisent soudain des «lignes rouges» infranchissables au-devant, voire des «sacrilèges». Une pratique du Barbaricum ancien hante nos esprits. Les Tartares avaient pour habitude de traiter leurs prisonniers de manière autant singulière que monstrueuse : ils ficelaient chaque captif à un cadavre, face contre face, ventre contre ventre, jusqu'à ce que le mort ait mangé le vivant. Quand un régime cadavéreux exhale les relents mortifères de ses membres, minorité qui s'accroche au pouvoir sans lâcher prise, un soubresaut et effort collectif de se libérer des corps éteints donne naissance à un puissant souffle de vie. L'Histoire en charrie des exemples à foison. Le soulèvement pacifique de centaines de milliers d'Algériens, manifestants de jour et marcheurs de la nuit, donne une idée très précise du rejet du régime moribond. Le jour ne se moque plus du travail fait de nuit, contrairement à ce qu'affirme un dicton de chez nous. Les deux moitiés du quotidien ne suffisent plus pour dire l'horreur et la nausée que nous inspire le face-à-face de vivants vaincus et de morts vainqueurs. Les hier et avant-hier de l'hégémonie tentaculaire sur nos vie s'éloignent derrière, quand pointent sans l'ombre d'un doute des lendemains émancipateurs. Un système qui a installé le désespoir dans le cœur des gens et ne leur a laissé que le choix d'embarcations de fortune comme espérance s'évapore en un claquement de doigts de centaines de milliers d'hommes et de femmes. Telle est la leçon du réveil et de la volonté des peuples.