Fortement impliqué par l'action et la réflexion dans l'insurrection citoyenne en cours, Djamel Zenati, invité du forum de Liberté, hier, a appelé «au renoncement de la prolongation du mandat du président (Bouteflika), au renvoi du gouvernement, à la dissolution du FLN et au gel des transferts de capitaux et autres transactions suspectes des dignitaires et clientèles du régime». La négociation comme prochaine étape nécessaire pour engager une transition «est tributaire de la satisfaction de ces préalables», exige-t-il. Au terme de quatre semaines de mobilisation populaire opposée au 5e mandat du président sortant et au rejet du système politique, la question du prolongement politique se pose avec sérieux. La question de la transition est au cœur du débat. Pour M. Zenati, la transition «n'est pas un choix politique. Elle relève du bon sens. En effet, le passage d'un système à un autre nécessite une étape intermédiaire», expliquant que cela va être «une expérience historique singulière et à ce titre elle puise ses éléments constitutifs du vécu dans lequel elle se déploie. Il n'existe pas de modèle valable partout et tout le temps. Nous devons être imaginatifs et inventifs», précise-t-il, ajoutant que «la transition est déjà en marche dans la société». «Le système est déjà tombé dans les esprits, le bloc au pouvoir s'effrite et la centralité s'est déplacée du système en place vers le mouvement populaire», tranche encore l'ancien leader du Mouvement culturel berbère. Mais avec qui négocier ? C'est l'autre question qui préoccupe également les Algériens et Algériennes qui, chaque vendredi, envahissent par millions les rues du pays. «Il faut procéder par élimination. A partir du 28 avril à minuit, Bouteflika ne sera plus président de la République, il doit partir et le gouvernement renvoyé ; il ne reste alors que l'institution militaire qui est une institution de l'Etat, elle ne se réduit pas à son chef Gaïd Salah qui doit partir d'ailleurs. C'est avec les représentants de cette institution qu'il faudra négocier le moment venu», préconise Djamel Zenati. Cependant, il a clarifié qu'il «ne lui appartient pas de définir les objectifs, le contenu. Il lui revient de faciliter la transition qui doit parvenir à la séparation entre le politique et le militaire entre autre. Il faut négocier les modalités de la destruction du système, cela va prendre du temps évidement». Concrètement, la transition, du point de vue de l'ancien conseiller politique de feu Hocine Aït Ahmed, doit être pilotée par «un gouvernement de transition – il faut assurer la continuité de l'Etat – et une instance qui va suppléer à la vacance de la Présidence. Quand il s'agit du destin du pays, la Constitution devient secondaire». Et pour mieux déterminer sa pensée et sa proposition, M. Zenati juge que «les grandes questions de la transition sont celles des objectifs, du séquencement, des mécanismes et des garanties. Les acteurs directs de la transition doivent répondre à des critères précis et s'engager à respecter un certain nombre de principes». «On les aura avec le sourire» Faisant l'éloge de ces journées historiques qui ébranlent le pouvoir, Djamel Zenati a qualifié cette mobilisation citoyenne «d'irruption d'une jeunesse privée d'avenir et dont l'espoir se résume à un rêve furtif et insaisissable. C'est l'irruption des femmes écrasées sous le poids des préjugés, des pesanteurs sociales et des commandements absurdes. C'est l'irruption des laissés-pour-compte, ces exclus usés et désabusés par des années d'outrances et d'outrages. C'est l'irruption de l'Algérie réelle, cette Algérie d'en bas sans laquelle l'Algérie n'existerait pas». Ce qui traduit, selon lui, «la trinité de liberté et de justice sociale». Retrouvant son éloquence de feu et son verbe incisif quand il se met railler le régime, Djamel Zenati pilonne sans répit. «Sous le règne de Bouteflika, le régime s'est peu à peu ghettoïsé, coupé de la société. Il a sombré dans une dérive oligarchique et mafieuse aux allures d'entreprise coloniale. Les dignitaires du régime et leurs diverses clientèles sont perçus comme de nouveaux colons. Raison pour laquelle la déferlante populaire a pris les apparences d'un mouvement de libération nationale», s'exclame-t-il. L'invité de Liberté décrit un pouvoir plongé dans le désarroi : «En vérité, ils (les décideurs) sont terrorisés à l'idée de devoir partir en laissant derrière eux un état des lieux des plus compromettants. Trois dossiers font particulièrement trembler le système : le pillage et l'accaparement, l'énergie et le sécuritaire.» Mais il rappelle qu'il est opposé à toute démarche «allant dans le sens du règlement de comptes. Seulement, le devoir de donner des comptes n'est pas le règlement de comptes». Soucieux de l'avenir du processus insurrectionnel en cours, l'enfant chéri d'Akbou estime que «la position patriotique aujourd'hui consiste à se démarquer du système et de la minorité qui s'y accroche contre vents et marées». Rien n'est encore joué et l'échec n'est plus autorisé. «La mobilisation collective doit s'approfondir et porter l'aspiration démocratique à un point de non-retour sans pour autant perdre de son caractère pacifique. La violence est son pire ennemi, car elle pervertit, obscurcit, divise et démobilise», prévient-il. Tout en restant vigilant quant à la suite des événements, Djamel Zenati se dit optimiste : «On les aura avec le sourire», promet-il, un peu comme pour conjurer le risque de basculement dans la violence, avant de rendre un hommage appuyé à l'icône de la Révolution algérienne, Djamila Bouhired, qui, elle aussi, est impliquée dans la mobilisation : «La légitimité historique est dans la rue, c'est Djamila Bouhired, y a-t-il quelqu'un qui peut incarner cette légitimité en dehors d'elle ?»
Zenati accuse… Saïd Bouteflika, Gaïd Salah et Kouninef Dans son intervention au forum de Liberté, Djamel Zenati n'a pas essayé d'esquiver pour désigner les deux hommes au pouvoir à l'origine de la crise actuelle. «Saïd Bouteflika qui semble obstiné à s'accrocher au pouvoir, quitte à mettre le pays à feu et à sang. Le chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah est tout aussi complice. Il doit partir, il est fini», réclame Zenati. Et d'indiquer que les Algériens ressentent le pouvoir comme «un nouveau colonialisme. Il se dit qu'il existe une famille (Kouninef sans la citer) qui a des liens avec Israël et a une influence considérable sur le clan présidentiel. Il y a vraiment danger sur la sécurité nationale».