L'université Abderrahmane Mira de Béjaïa a, depuis quelques jours, mis en œuvre son programme de conférences-débats pour suivre, à sa façon, le rythme du mouvement populaire. Pour les enseignants, il ne s'agit pas d'accompagner le mouvement mais de s'y impliquer en apportant leur contribution, leur pierre à l'édifice. De la sorte, ils donnent un prolongement à leur participation aux marches en déclarant leur «entière adhésion au mouvement initié par le peuple». Depuis le 26 février dernier, la mobilisation de la communauté universitaire a choisi la journée de mardi pour occuper la rue par des marches hebdomadaires, initiées par les étudiants à l'échelle nationale. Cette implication agissante engage ainsi l'université algérienne dans une extraordinaire dynamique à laquelle a achoppé le ministre Hadjar lui-même, en annulant sa décision d'avancer la date des vacances. Au moment où les étudiants s'organisent en comité – qui a invité avant-hier Karim Tabbou –, les enseignants continuent de faire de leur établissement une «université portes ouvertes sur le mouvement populaire», mettant devant le fait accompli l'administration rectorale, poussée presque à l'effacement. La décision a été prise, pour rappel, le 6 mars lorsqu'a été annoncé un arrêt des enseignements pour une semaine. «Nous ne sommes pas en vacances, mais en grève», ont-ils dû préciser pour rejeter la décision du ministère de tutelle. L'université est donc dans une forme de rébellion saine par rapport à sa tutelle, forcée à faire marche arrière en annulant sa dernière décision. Les conférences-débats qui se déroulent au campus Targa Ouzemmour sont une autre expression de cet affranchissement, qui épouse le mot d'ordre de désobéissance lequel fait vibrer la rue. L'université se doit de jouer son rôle d'espace de réflexion et de débat et de donner un prolongement aux slogans de la rue. Un rôle qu'elle avait tenté de jouer aussi lors du Printemps noir de 2001 en Kabylie. Des assemblées générales ont été organisées dans l'urgence, depuis la veille de la première marche de la communauté universitaire, le 26 février dernier. Les débats ont consacré une conviction : «La révolution en marche a besoin d'idées et d'espaces de débat.» L'idée d'organiser des «ateliers de formation à la citoyenneté et autour de la non-violence», où sociologues, économistes, juristes… débattraient, en cercles restreints, de l'actualité, s'est mue en une nécessité de réunir tout le monde autour de conférences-débats ouvertes également à la société civile. Un collectif d'enseignants et d'ATS volontaires est en train de donner une suite concrète à cette implication. Pendant la semaine d'arrêt des enseignements, le public a eu l'occasion de débattre avec des avocats de questions constitutionnelles, avec des auteurs et chercheurs de la question amazighe comme matrice de la démocratie et de la littérature engagée. Hier, la tribune a été occupée par l'islamologue Saïd Djabelkhir, avec lequel le débat a porté sur la dimension de l'islam et de l'islamisme politique. Aujourd'hui, des intervenants sont conviés à débattre de la constituante et mercredi l'universitaire et militant Fodil Boumala tentera de répondre à la question : «Quelle rupture pour quelles alternatives». Autant d'occasions permettant d'atténuer des inquiétudes et d'accompagner des aspirations. «Tous les thèmes proposés sont en rapport avec le mouvement populaire et répondent aux appréhensions de certains par rapport à l'avenir du pays», précise Zouagui Sabrina, enseignante active dans le collectif. «Comme la rue est ouverte à tous les citoyens, l'université aussi se doit de l'être. Le mouvement ne peut pas rester indéfiniment dans la rue, il faut se réapproprier tous les espaces d'expression», dit-elle. La communauté universitaire, avec ses trois composantes, étudiants, enseignants et ATS, n'entend pas rester en marge des convulsions sociales et des combats démocratiques. Jeudi prochain sera le jour du début réglementaire des vacances de printemps. Videra-t-on l'université ? En attendant ce que décideront les étudiants, les enseignants se réuniront le même jour en assemblée générale où des voix militantes ne manqueront pas de plaider pour occuper encore l'espace et maintenir allumées les lumières de l'université.