Vos papiers ! » Lancée d'un ton menaçant par un gendarme ou un policier en faction, c'est la phrase que redoutent les automobilistes qui empruntent chaque matin l'autoroute. Depuis l'entrée en vigueur du draconien nouveau code de la route, c'est le règne de la « terreur » sur les routes nationales. La moindre infraction est sévèrement réprimée par la police en embuscade. Sur le tronçon d'autoroute menant de Zéralda à Reghaïa, c'est une succession de barrages. Pas moins d'une vingtaine, sans compter les brigades motorisées. Impossible d'y échapper. Un dispositif impressionnant qui renvoie l'image d'un pays en guerre. Certes, nos routes mènent de plus en plus vers la mort en raison de la folle conduite de nombreux chauffards. Mais le répressif code de la route est loin d'être cette solution tant recherchée. Les accidents mortels ne connaissent pas de recul. Par ailleurs, ce nouveau code constitue un motif « légal » pour priver de nombreux automobilistes du fameux document rose. Il suffit de faire un tour du côté de l'état-major de la Sûreté nationale, à Bab Ezzouar (est d'Alger), pour se rendre compte de l'ampleur que prend le phénomène du retrait du permis de conduire. Si l'officier chargé de la « communication » au niveau de ce commissariat a refusé de nous fournir quelques statistiques au sujet des délits routiers, le défilé des chauffeurs à qui on a retiré le permis de conduire est édifiant. Du matin au soir, des dizaines de personnes, des deux sexes, se présentent au commissariat. Une fois sur place, il ne sont pas sûrs de récupérer leur permis. C'est le cas de ce chauffeur dans une entreprise nationale qui est venu entendre la décision de la section « délit routier » relevant de ce commissariat, devenue célèbre chez les conducteurs de l'Algérois depuis quelque temps : « On m'a retiré mon permis pour une soi-disant infraction que je n'ai pas commise. Je suis venu le récupérer, mais je dois passer devant la commission. Vous imaginez ce que ça va me coûter, un mois sans travail. Je perds mon permis et un mois de salaire, plus le procès de 4000 DA », s'indigne-t-il. Il n'est pas le seul dans son cas. Des cibles privilégiées Les « accusations » retenues contre ces « délictueux de la route » sont multiples : éclairage et signalisation du véhicule défectueux, excès de vitesse, empiètement d'une ligne continue, défaut de port de la ceinture de sécurité, usage du téléphone portable au volant, non-respect du stop… sont autant de délits recensés par les éléments de la police et de la Gendarmerie nationale. Ils sont passibles d'un retrait de permis allant de 2 à 6 mois et une amende de 2000 à 6000 DA. Mais le délit le plus grave reste la conduite en état d'ivresse ; le coupable risque jusqu'à 10 ans de prison ferme.Si beaucoup de chauffeurs admettent avoir commis des infractions au code de la route, ils estiment, par ailleurs, que la répression est disproportionnée. « Pour défaut de rétroviseurs latéraux, on m'a retiré mon permis plus une amende de 2000 DA. Je trouve cela abusif. Ceux qui ont conçu ce nouveau code se trompent sur le type de solutions pour réduire les accidents de la route, si c'est l'objectif recherché », lâche un autre chauffeur en colère. Il ajoute : « Le délit est aussi du côté de ceux qui sont censés faire respecter la loi. Ce nouveau code de la route engrange des profits – la tchipa. Souvent, pour échapper à un procès, on glisse un billet de 1000 DA à l'intérieur du permis et le policier ferme l'œil. Au lieu de payer une amende de 4000 DA et tout le casse-tête qui suit, les chauffeurs préfèrent cette corruption des routes. » Un fléau qui prend de l'ampleur. Beaucoup d'officiers le reconnaissent en privé. Un secret de Polichinelle loin d'être « un vice » marginal, mais plutôt « une pratique courante », s'est confié un chauffeur de taxi. « Nous sommes la cible privilégiée des barrages de police et de gendarmerie. Il n'y a pas un chauffeur de taxi qui n'ait pas payé un café à un policier. Le nouveau code de la route est une aubaine pour eux », a-t-il confessé.