Comme toutes les entreprises publiques, Mobilis – la filiale du groupe Algérie Télécom spécialisée dans la téléphonie mobile – n'est pas une société facile à gérer. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la difficulté ne s'explique pas par la forte concurrence qui règne dans le secteur, mais plutôt par les parasitages, nombreux, dont fait régulièrement l'objet ce jeune fleuron algérien de l'industrie des services. Fraîchement nommé au poste, son nouveau directeur général, Azouaou Mehemel, vient d'en faire l'amère expérience. Engagé dans une politique de promotion de cadres compétents dans le but de redynamiser des activités de son entreprise, M. Mehemel a eu la désagréable surprise de voir certaines de ses décisions se heurter à des résistances au niveau de sa hiérarchie comme celle, par exemple, ayant trait à la nomination d'un nouveau staff à la tête du service commercial de la direction régionale d'Alger de Mobilis. Un staff qui, comme tout le monde le sait maintenant, comprend la fille d'un responsable syndical influent à Alger (lire El Watan du 1er avril). Celui-ci n'a d'ailleurs pas hésité à faire jouer ses relations en haut lieu pour éviter à sa progéniture – qui occupe un poste de sous-directrice – de faire les frais du « coup de balai » du DG de Mobilis. En réalité, la « fille » en question devait juste être mutée à un autre poste tout en gardant, toutefois, son traitement intégral. La suite du scénario est bien connue. Plutôt que de se voir épaulé et conforté dans ses décisions, Azouaou Mehemel s'est vu rappeler à l'ordre et, surtout, sommer de surseoir à sa décision de « reconfigurer » la composante humaine de la direction régionale d'Alger de Mobilis dont le siège se trouve Dely Ibrahim, sur les hauteurs d'Alger. Contrairement à beaucoup de responsables qui, en pareil cas, préfèrent obtempérer et laisser passer l'orage par crainte de perdre leur poste, la réaction du DG de Mobilis ne s'est pas fait attendre. Connu pour être un homme d'action et de conviction, un homme qui plus est maîtrise son sujet sur le bout des doigts, M. Mehemel « balance » aussitôt sa démission à ceux qui lui ont fait comprendre qu'il existe des lignes rouges à ne pas franchir. Cela y compris dans « sa » propre boîte. « On veut casser Algérie Télécom et Mobilis » En réalité, affirment des cadres de son entourage, ce n'est pas la première fois que Azouaou Mehemel se voit contrarié dans sa gestion par « des consignes venues d'en haut ». Mais à l'inverse des injonctions reçues en pleine figure depuis sa promotion au poste de directeur général, les interférences ayant entouré sa décision de revoir les organigrammes des directions régionales de Mobilis (une société dont le chiffre d'affaires avoisinait les 48 milliards de dinars en 2008 et qui compte aujourd'hui 4000 employés et plus de 10 millions d'abonnés) ont été la goutte qui a fait déborder le vase. A ce propos, la révolte de M. Mehemel, qui a contribué avec beaucoup d'autres cadres du secteur à faire d'Algérie Télécom en un temps record un groupe capable de rivaliser avec des multinationales aussi puissantes qu'Orascom et Wataniya Telecom, n'aura pas été inutile. Outre le fait d'avoir contribué à mettre en lumière les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles évoluent les managers des entreprises publiques, ce coup de gueule authentique a permis, en partie, de comprendre pourquoi le secteur public industriel n'arrive pas à décoller. Du coup, il est plus aisé de saisir la souffrance et la solitude vécues par Brahim Ouaret, Slimane Kheireddine et Mouloud Djaziri, tous de brillants ex-PDG d'Algérie Télécom qui présentent un autre point en commun, celui d'avoir été traînés dans la boue avant d'être jetés en prison comme de vulgaires malfrats. Or, tout le monde se souvient que leurs ennuis présentaient un fort relent de règlements de comptes politiques. La remarque vaut notamment pour Mouloud Djaziri qui a, pour ainsi dire, quitté son poste après un clash public avec le ministre du secteur de l'époque concernant une histoire de factures impayées. Aujourd'hui, beaucoup d'employés soutiennent l'hypothèse qu'une partie des malheurs des anciens managers d'Algérie Télécom viennent de certaines firmes étrangères connues pour être des spécialistes en matière d'intelligence économique et en « coups tordus ». Des firmes que la réussite d'Algérie Télécom contrariait. Echaudés sans doute par les tristes épisodes endurés par les cadres d'Algérie Télécom, des responsables au ministère de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication (mptic) préfèrent, pour l'heure, désamorcer la crise et remettre carrément les compteurs à zéro. Comme si de rien n'était. « Pour nous, il n'y aucun problème à Mobilis. Il faut laisser travailler M. Mehemel. C'est un enfant de la maison et il sait ce qu'il fait. Nous avons confiance en lui », s'exclame un haut responsable du département géré par Hamid Bessalah. En revanche, à Algérie Télécom, comme à Mobilis, les déboires connus par Azouaou Mehemel avec « la haute hiérarchie » en plus d'avoir suscité un sentiment de mécontentement général parmi les travailleurs (ces derniers ont d'ailleurs tenu à exprimer leur soutien à leur patron en organisant un sit-in près du siège de Mobilis à Sidi Yahia) ont eu pour effet de délier les langues de certains cadres. Les décisions managériales régulièrement contrariées C'est le cas du directeur de la communication de Mobilis, Aït Touired Azzedine, qui n'est pas allé de main morte pour dénoncer les « pressions » que subissent les managers des entreprises publiques. Des pressions, précise-t-il, qui n'existent pas dans les firmes privées. « Les pressions et les injonctions sont une réalité surtout dans les entreprises publiques. Elles sont le fait des multiples autorités qui gravitent autour des sociétés. C'est un fait connu chez nous. Mais ce qui est moins connu c'est que ces pressions nuisent à l'entreprise dans la mesure où elles viennent remettre en cause des décisions managériales et détruire des stratégies de développement. Ça ne peut pas continuer comme ça ! », lâche avec colère M. Aït Touired. Et d'ajouter : « Comment voulez-vous, dans ces conditions, affronter une concurrence des plus agressives et engranger des profits lorsque tout est fait pour vous freiner. » Notre interlocuteur regrette aussi le fait que les responsables ne soient pas protégés lorsqu'ils décident de prendre des risques en matière de gestion et qu'on les lâche au « moindre pépin ». Même son de cloche et surtout même sentiment de colère chez les cadres de la maison mère, Algérie Télécom, dont certains n'hésitent pas à confier qu'« il existe deux conceptions qui s'affrontent actuellement au sein du groupe. La première regroupe les partisans du changement et la seconde fédère, malheureusement, des gens archaïques et dépassés, qui sont favorables au statu quo ». Pour notre source, c'est ce dernier clan dont les ramifications s'étendent à certaines institutions qui tente de saborder toute initiative allant dans le sens d'un redressement durable du groupe. Autant de tentatives de sabordage qui, bien entendu, s'ajoutent aux coups bas régulièrement donnés par la concurrence. « Ce n'est un secret pour personne. On a vraiment essayé de casser Algérie Télécom et ses filiales, et tenté de favoriser la concurrence. C'est une véritable jungle. Dans le cas contraire, pourquoi avoir alors bloqué au port notre matériel destiné à élargir notre réseau pendant des mois », atteste un proche collaborateur de Moussa Benhamadi, le PDG d'Algérie Télécom. Bien que tenant à nuancer quelque peu certains propos tenus par ses collègues, Abdelhakim Méziani, directeur de la communication d'AT, soutient globalement lui aussi le constat fait concernant le contexte difficile dans lequel travaillent les managers. Toutefois, celui-ci a tenu à préciser que l'ensemble du personnel d'AT est décidé à se battre pour protéger son entreprise et en faire un fleuron dont pourra être fier le pays. Il fera néanmoins remarquer que tout le monde est conscient à Algérie Télécom que pour y arriver, il est important de garder constamment un œil ouvert, car les attaques ne manqueront certainement pas.