On connaîtra dans quelques semaines l'orientation stratégique choisie par nos autorités pour améliorer les compétences techniques et financières d'un des derniers bijoux de notre infrastructure nationale, Algérie Télécom : quoi vendre (fixe et/ou mobile) ? Combien vendre (30, 35 ou plus de 50% du fixe et/ou du mobile) ? Comment vendre ? Dans cet article, nous allons essayer d'identifier les éléments du contexte national et international qui vont influer et justifier la décision finale. À l'image de la SNTF, de Sonelgaz, de Sonatrach, de l'Enna (navigation aérienne) et de l'Algérienne des Eaux, AT est une société-clé de l'infrastructure algérienne : elle relie toutes les administrations algériennes, les institutions, les compagnies nationales au travers de son backbone, comparable à une épine dorsale. Toujours à l'image des compagnies sus-mentionnées, la piètre qualité des services offerts par AT n'a pas favorisé un développement économique rapide et a donc permis l'émergence d'opérateurs mobiles privés qui essaient doucement d'infiltrer le réseau fixe (Lacom a échoué, le dégroupage est oublié, ouf !). La sécurité nationale dépend étroitement des moyens de communication mis à la disposition des services de l'Etat. En ces temps de guerres psychologique, économique et énergétique, il est peut-être important de maintenir un réseau de communication desservant les institutions de l'Etat indépendant du réseau de communication desservant les individus et ayant comme exploitant/opérateur une société nationale. Mais comment distinguer les réseaux ? La structure d'AT et l'émergence des réseaux privés Algérie Télécom SPA est composée de trois filiales distinctes : AT Mobilis, AT Satellite et la branche Internet, Djaweb. Le réseau fixe se trouve au cœur des trois filiales : communication fixe vers mobile via le réseau, communication vers l'international issue d'un mobile ou d'un fixe via le réseau (si Europe ou via les bandes Satellite si USA/Asie), Internet et ADSL optimales via le réseau. Les opérateurs privés tels que Djezzy et Nedjma n'ont d'autres choix que de passer par le réseau fixe de AT alors que leurs services entreprises ne sont que mobiles ou via VSAT. En ayant ATM comme filiale à 100%, AT joue un rôle difficile de juge et arbitre quant à la facturation et la capacité (en termes de données) mise à disposition des autres opérateurs sachant que demain un complément de capacités sera disponible via les réseaux privés de Sonatrach et Sonelgaz. Malgré une position monopolistique dans les services fixes, la filiale mobile d'AT a eu beaucoup de mal à s'imposer (35% de parts de marché) et sa structure “étatique” ne lui permet pas d'être aussi agressive que les autres… Il faudrait donc un opérateur du réseau fixe indépendant de tous les autres opérateurs de téléphonie mobile. Le ministère des PTT, unique actionnaire d'AT, et le régulateur C'est le régulateur qui veille à ce que la position dominante d'AT, avec son contrôle sur le fixe et le mobile, ne diminue pas les capacités des autres opérateurs et ne biaise pas la concurrence et donc, il serait plus facile pour le régulateur de gérer trois opérateurs entièrement privés qui seraient tous logés à la même enseigne vis-à-vis de l'opérateur fixe et tous seraient soumis aux axes du développement national en télécommunications définis par le ministère. Le ministère veut finaliser la réforme de son secteur par la privatisation de l'opérateur historique comme suggérer par toutes les instances internationales et les théories économiques des années 1990. Il faut rappeler que ces réformes s'inscrivaient dans un contexte particulier de crise économique et de faibles ressources financières de l'Etat-actionnaire comme vécu chez nos deux voisins maghrébins. Or, on le conviendra, les temps ont changé, la dynamique sectorielle aussi. De plus, si la situation de l'Algérie est incomparable avec celle de ces voisins, elle est un maillon important des liens avec l'Europe (via les deux gazoducs et sa population immigrée) et tout ce que cela veut dire. Le choc des cultures et des investissements Si l'on s'arrête sur la présence des différents opérateurs de télécommunications au Maghreb et en Afrique subsaharienne, on pourra trouver un équilibre entre des opérateurs/investisseurs occidentaux et des opérateurs/investisseurs moyen-orientaux et africains. Ces marchés sont les derniers marchés à fort potentiel de croissance… la preuve : Orascom après cinq années en Algérie est déjà présente en Italie et se prépare tranquillement à la France, Vivendi s'est refait une santé financière au Maroc, Etissalat est en Tunisie et rêve de croiser le fer avec... les croisés. On l'aura compris, AT représente le dernier maillon/rempart avec l'Occident, la dernière frontière. Si AT tombait entre les mains d'un opérateur de téléphonie déjà présent en Europe, cet opérateur arrêtera toute expansion vers l'Europe des opérateurs/investisseurs moyen-orientaux ou sud-africains et même veillera à installer une forte présence pour minimiser la concurrence alors que la situation contraire ouvrirait les portes de ces investisseurs aux opérateurs de téléphonie actifs en Europe car dans le secteur des télécommunications, croître c'est survivre ! Les formules disponibles et leurs contraintes Il est difficile d'ouvrir le capital d'AT à deux entités distinctes : un opérateur pour le fixe et un autre pour le mobile. Par contre, pour les deux entités que sont le fixe et le mobile, on peut concevoir des taux de participations différents, c'est-à-dire que dans un premier temps, le nouvel actionnaire serait minoritaire dans le fixe, mais majoritaire dans le mobile…. mais cela resterait laborieux à gérer contractuellement car l'alignement des deux participations devra être défini dans le temps… et l'Etat devra donc s'engager aujourd'hui à céder la majorité de l'actionnariat à un temps futur. De plus, si l'Etat décide de l'ouverture du capital de tout le groupe AT, fixe et mobile inclus, seules des compagnies ayant une expérience de gestion d'un réseau fixe avec plus de six millions d'abonnés et l'expérience d'une privatisation devront être admises à participer… cela réduit fortement le champ des prétendants mais cela nous garantirait l'expertise après des enchères entre France Telecom, Deutsch Telecom, Portugal Telecom, Vodacom ou encore British Telecom par exemple. Si seul Mobilis est proposé à l'ouverture du capital, alors il est plus facile à l'Etat d'offrir une majorité confortable du capital et le champ des prétendants seraient plus élargi : SFR, Vivendi, DT, Etissalat, MTC, Vodafone, Bouygues, Orange, Telefonica, BT etc. Parallèlement, AT se lierait stratégiquement à un opérateur qualifié pour améliorer ses services comme le fait l'ADE avec Suez dans la distribution de l'eau (c'est pas pareil mais tout aussi important !) Les besoins et l'information On l'entend partout, AT a surtout besoin d'une assistance technique et managériale pour améliorer ses services de téléphonie fixe et AT Mobilis a besoin d'argent et de plus de liberté managériale pour faire face à la concurrence. Le plan ADSL/Internet d'AT est très important pour le développement intellectuel des Algériens, la mise à niveau des entreprises et des administrations algériennes, c'est une étape plus que fondamentale. Comme Sonelgaz, AT est créancière de toutes les administrations algériennes mais au contraire de Sonelgaz, la situation financière de AT n'est connue en partie que suite aux émissions obligataires réalisées en 2006 (sur base de comptes encore discutés). L'exploitation de ces chiffres doit être très prudente. Alors que va décider l'Autorité ? Le plus sage : la vente du mobile uniquement et à plus de la majorité. Le plus risqué pour sa mise en œuvre : le fixe et le mobile à moins de 50%. Safou Djamel