L'auteur algérien, traduit dans quarante langues, revient sur la scène littéraire avec un souffle qui évoque les moments forts et la verve de ses débuts. De temps littéraire est plus extensible que le temps aéronautique. Aussi, si le vol Alger-Constantine dure au plus trois quart d'heure, un roman peut, lui, donner une profondeur et une longueur exceptionnelles. Sous la plume de Rachid Boudjedra, le trajet s'étend sur plus de 200 pages papier, traversant les années de l'histoire, années-lumière parfois, années-ténèbres souvent, dans une fresque époustouflante qui s'étale sur des périodes qui remontent au moins à la conquête coloniale pour atterrir jusqu'à nos jours. Le pré-texte sur lequel se faufilent toutes ces périodes est la rencontre du narrateur, Rachid (clin d'œil autobiographique ?) avec Omar, un parent, mais surtout l'ami d'enfance, de jeunesse et des débuts de l'âge adulte. Ils ont tout partagé, les haines et même les amours, toutes les découvertes aussi, guerre, sexualité, arts et trahisons, toutes les désillusions enfin. Les deux se sont perdus de vue, sans jamais se revoir, mais sans jamais se perdre de pensée, notamment Rachid qui, de toujours, a éprouvé une admiration sans bornes mais envieuse à l'égard de son ancien complice devenu un architecte fortuné et jouissant d'une envergure internationale. Rachid a toujours considéré la réussite de son ami d'une manière ambivalente où dominait une jalousie rentrée. En un seul vol, si court, ils vont remonter leur temps commun, traçant à travers leurs propres péripéties existentielles, l'histoire tourmentée de l'Algérie. On y croise les grandes figures de l'horreur coloniale mais aussi des personnages comme Henri Maillot, militant communiste pleinement engagé dans la guerre d'indépendance, le spectre de Abane Ramdane, l'ancien bourreau d'Alger, ainsi qu'une galerie foisonnante de parents, amis, voisins, relations. Dans des intrigues à tiroirs, les histoires se poursuivant chacune en pointillés, se rejoignant parfois, Rachid Boudjedra renoue avec sa grande verve initiale, pleine d'épaisseur et de rythme, de sensualité et de poésie, de descriptions réussies et d'élans allégoriques. Il signe là un grand roman qui signe son grand retour.