Les familles des disparus ont bravé l'interdit en organisant un rassemblement sur la place de la Grande-Poste, à Alger, à l'appel de SOS Disparus et du Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA). Les forces de l'ordre semblaient prises de court. Tôt le matin, des familles de disparus venues des différentes wilayas du pays ont occupé la place avant que la police ne les en empêche. Habituellement, elles tenaient leurs rassemblements devant le siège de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'homme (CNCPPDH), mais cette fois-ci, elles ont décidé de se réunir au centre d'Alger « pour prendre à témoin l'opinion publique », brisant ainsi la chape de plomb qui s'abat sur la capitale. Arborant les portraits de leurs fils et proches enlevés durant la décennie 1990, elles ont scandé des slogans hostiles au pouvoir. Criant à gorge déployée « rendez-nous nos enfants », « Bouteflika, pourquoi as-tu peur de la vérité ? » et « les Pinochet de notre pays, où sont nos enfants ? », les vieilles femmes ont suscité la compassion des passants. Ces femmes qui n'arrêtent pas de réclamer justice, étaient hier surtout remontées contre le président de la CNCPPDH, Farouk Ksentini, qui avait déclaré, le 18 mars dernier : « Les familles de disparus ont cessé de réclamer le droit à la vérité et la justice. » Une provocation de plus ! Des propos qui démontrent, selon les familles, que « les autorités algériennes continuent sur la voie du déni du droit à la vérité et à la justice ». « Le président de la CNCPPDH tente de justifier l'absence de volonté d'ouvrir des enquêtes sur le sort des disparus par des incapacités matérielles et il déclare qu'il est préférable que la page soit tournée. » Des propos « indignes », estime Nacéra Dutour, présidente de CFDA. « On ne tournera pas la page tant que la vérité n'aura pas triomphé », a-t-elle assuré. Les familles de disparus, aguerries par des années de lutte pour la vérité et la justice mais également par une tragédie humaine, refusent tout renoncement. « On ne tourne pas une page qui nous plonge dans une souffrance intenable. Ksentini revoit chaque soir ses enfants, il ne peut pas comprendre le drame des femmes à qui on a enlevé leurs fils », a lâché une vielle femme avant de s'effondrer en larmes. Les familles des disparus ont réaffirmé leur attachement au droit à la vérité, qui « est une revendication légitime et réalisable ». « La vérité finira par triompher », ont-elles martelé. Elles s'inspirent, pour leur combat, des expériences d'autres pays qui ont connu la même situation, tels le Chili et l'Argentine, qui ont réussi à faire aboutir un travail de vérité et de justice. Une option soutenue par le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), Mustapha Bouchachi, venu apporter la solidarité de son organisation au combat des familles de disparus. « Il est urgent de trouver une solution à cette question tellement insupportable et inacceptable. Une solution qui passe nécessairement par la vérité et la justice. Les disparitions forcées sont la pire des choses qui puisse arriver à une famille. Il faut qu'on leur dise la vérité pour leur permettre de faire leur deuil », a déclaré M. Bouchachi. Le rassemblement ayant tenu ses promesses, les familles de disparus ont libéré la place après plus de deux heures de cris de colère.