La situation semble se compliquer au Liban, amenant le président Lahoud à renoncer à participer au sommet arabe d'Alger qui s'ouvre demain. Son appel au dialogue a été rejeté par l'opposition, afin d'éviter l'impasse, synonyme pour beaucoup de Libanais de saut dans l'inconnu, voire de retour à une période qu'ils croyaient révolue, et qu'en tout état de cause ils n'auraient plus à la revivre. C'est celle de la guerre civile, car, relève-t-on depuis quelques semaines, c'est à dire celles durant lesquelles la classe politique a montré de réels clivages, l'accord de Taef a permis de taire les armes sans qu'il y ait un vainqueur ou un vaincu. L'on craint alors que les mêmes causes produisent les mêmes effets. C'est ce qui explique la montée au créneau du chef de l'Etat libanais qui a déclaré que son pays n'était ni l'Ukraine ni la Géorgie, où des « révolutions tranquilles » ont permis des changements de régime. On est toutefois loin d'un bras de fer, mais l'opposition a rejeté l'offre de dialogue du président Emile Lahoud, le considérant responsable de la crise politique au Liban, alors que la communauté internationale met en garde contre une « montée des tensions », voire des « assassinats ». Le principal opposant, le chef druze Walid Joumblatt, a continué à réclamer la démission de M. Lahoud, dont le mandat a été prorogé de trois ans en septembre par le Parlement libanais. « Après que nous nous sommes opposés à sa reconduction, il y a eu la tentative d'assassinat du député Marwan Hamadé (le 1er octobre) et ensuite l'assassinat de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri (le 14 février). Lahoud est accusé de couvrir les services de sécurité », a lancé M. Joumblatt. Pour lui, « Lahoud n'est pas innocent, mais il est sur le banc des accusés jusqu'à ce que son innocence soit prouvée ». En tout état de cause, l'opposition, composée de M. Joumblatt, des partisans de Rafic Hariri et de ceux du chef de l'Eglise maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, a immédiatement signifié son refus de dialogue. Les opposants considèrent que la reconduction de M. Lahoud est à l'origine de la crise actuelle - gouvernement démissionnaire et manifestations - et que son maintien au pouvoir ne permettra pas de calmer les esprits. Ils exigent au préalable une enquête internationale sur l'assassinat de Hariri et le limogeage des six chefs de services de sécurité et du procureur général. « Les conditions du dialogue ne sont pas réunies (...) après l'assassinat de Hariri. Nous ne leur faisons pas confiance », a affirmé le général Michel Aoun, en exil à Paris. « Un certain nombre de chefs de l'opposition vont être la cible de tentatives d'assassinat », a assuré le comité de suivi de l'opposition, dans un communiqué publié hier. De son côté, l'envoyé spécial de l'Onu en Syrie et au Liban, Terje Roed-Larsen, a mis en garde contre l'assassinat d'une nouvelle personnalité libanaise. « Je suis réellement inquiet de la possibilité qu'une importante personnalité ne soit assassinée (...) j'avais pressenti des troubles avant l'assassinat de Rafic Hariri », a-t-il dit, cité hier par des journaux libanais. Walid Joumblatt, retranché dans son fief de Moukhtara, dans la montagne au sud-est de Beyrouth, a dit plusieurs fois que Rafic Hariri lui avait confié avant sa mort : « Ça sera toi ou moi. » Le père de M. Joumblatt, Kamal, avait été assassiné en mars 1977. Le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan s'est également déclaré « profondément inquiet » « d'un risque de montée des tensions au Liban », après une explosion dans un quartier chrétien près de Beyrouth qui a blessé samedi 11 personnes. Réagissant à cet attentat, M. Joumblatt a « mis en garde la Syrie contre les agissements de certains de ses partisans qui ont été armés ». « Mais je pense que les sages sont nombreux en Syrie pour ne pas permettre que les troubles ne soient fomentés de nouveau au Liban », a-t-il estimé. Plus qu'un simple vœu, c'est l'aspiration de tous les Libanais pour ne plus revivre le cauchemar d'il y a trente ans.