« Nous avons réussi », a déclaré Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, mercredi soir, à la fin de la 16e Conférence internationale sur le gaz naturel liquéfié (GNL16), qui s'est tenue à Oran du 19 au 21 avril. Réussite logistique, peut-être. La ville d'Oran s'est au moins dotée d'un hôtel de haut standing et d'un Centre des conventions. Mieux que rien ! Réussite stratégique ? Improbable. Chakib Khelil n'a pas pu convaincre ses homologues de Russie et du Qatar de la nécessité de baisser la production du gaz pour stopper la dérive des cours en raison de l'abondance de l'offre et de la réduction de la demande (4 dollars MBTU sur le marché spot). Avant la réunion du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), le ministre algérien de l'Energie multipliait les déclarations sur l'importance de baisser la production. Cela était au cœur de la proposition algérienne faite avant la réunion du FPEG, organisée en marge du GNL16. « Nous voulons adopter un prix rentable qui arrange autant les consommateurs que les producteurs. Le maintien des prix actuels va compromettre les investissements dans le secteur gazier les prochaines années », avait-il prévenu, soulignant que la proposition algérienne était basée pour l'essentiel sur la réduction de la production. Sans admettre l'échec, Chakib Khelil est revenu devant la presse pour tenir un autre langage : « Réduire la production de gaz est un suicide. Les pays qui développent le gaz non conventionnel, les Etats-Unis et l'Australie, prendront notre position sur le marché. » Il n'y a aucun doute : Chakib Khelil est un homme sage, mais dire une chose et son contraire a de quoi troubler ! Abdelhafidh Feghouli, PDG par intérim de Sonatrach, a, lui, estimé que le FPEG a clarifié « des questions pertinentes » dans le domaine de l'industrie gazière. Mais il a omis de préciser lesquelles. La seule décision que l'on retient de la réunion du FPEG est celle d'indexer à terme les prix du gaz sur le marché spot sur ceux du pétrole (cela est déjà appliqué pour le marché à long terme). Un groupe de travail doit être constitué pour étudier en profondeur cette question. Donc, rien n'est encore acquis pour l'heure. L'inquiétude quant à la baisse de la demande sur le GNL n'est pas écartée. « La demande mondiale en gaz a baissé d'une manière significative en 2008 et en 2009. Les prévisions pour les prochaines cinq années sont préoccupantes, car on constate qu'il n'y aura qu'une faible croissance. En 2013, la demande sera au même niveau qu'en 2008 », a reconnu Chakib Khelil. Oui, mais que faut-il faire ? GTL, le carburant du futur Le Qatar, qui est le premier exportateur mondial de GNL et qui va bientôt concurrencer sérieusement l'Algérie sur le marché européen, continue de développer cette énergie mais cherche aussi d'autres solutions. Le pays perfectionne à un haut niveau technique les carburants GTL (Gas to Liquids) obtenus après la transformation du gaz, et projette de devenir le premier producteur mondial de GTL. L'Afrique du Sud, la Malaisie et les Etats-Unis travaillent également depuis plusieurs années dans le même domaine. Pour beaucoup d'experts, le GTL sera le carburant du futur. En Algérie, il n'est toujours pas développé. En 2005, un projet de GTL devait être lancé à Tinhert, au nord d'In Aménas, mais a été abandonné deux ans après. Motif avancé : des coûts trop élevés. Le néerlandais Royal Dutch Shell et le groupe australo-norvégien Statoil/BHP Billiton avaient pourtant montré de l'intérêt pour développer ce projet. La Russie, qui a baissé sa production de 16% en 2009, a décroché un gros contrat avec la Chine pour livrer 70 milliards de mètres cubes de GNL par an. Une quantité supérieure à l'ensemble de la production algérienne actuelle. Bousculée en Europe, la compagnie Sonatrach, qui est en prospection sur le marché mondial pour l'achat de méthaniers, doit chercher des marchés lointains en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique pour placer sa production gazière. Il est vrai que le prix du GNL est, pour l'heure, compétitif et qu'il est considéré comme une énergie propre et efficace pour les centrales électriques (même si la consommation du fuel dans la production électrique tend à baisser). Cependant, l'évolution rapide de la technologie gazière risque de faire la différence et de renverser les données, laissant sur le bas-côté des pays riches en ressources mais pauvres en innovations comme l'Algérie. Le retard technologique de l'Algérie en matière de prospection énergétique est aujourd'hui mis à nu avec le développement du gaz non conventionnel en Amérique du Nord, en Australie et en Pologne. Développer ce type de gaz n'est pas dans l'ordre des priorités en Algérie, puisque le pays se suffit du GNL et du gaz transporté par gazoduc. Il est vrai que des techniques de forage horizontaux et de fracturation de roches sont à l'essai dans les alentours de Hassi Messaoud pour exploiter les ressources non conventionnelles, mais cela risque de prendre beaucoup de temps. « Nous n'avons pas suffisamment d'expérience. Il nous faut au moins cinq à dix ans pour bien se lancer », a précisé Chakib Khelil. L'Algérie hors course ? Au-delà, l'Algérie a-t-elle préparé sa future action au sein du FPEG ? En a-t-elle suffisamment les moyens ? Les capacités gazières du pays sont limitées, selon l'expert algérien Mourad Preure. « Les réserves de l'Algérie sont de 4,5 trillions de mètres cubes (TCM), contre 43 en Russie, 25,5 au Qatar et 30 en Iran », a-t-il indiqué, soulignant que les Etats-Unis ont des réserves de gaz non conventionnel estimées à 35 TCM. Aussi, est-il permis de prévoir que sur le plan géostratégique, les grands producteurs de gaz vont dominer le FPEG, et la diplomatie du gaz avec. « La Russie est tentée par un leadership du FPEG, ce qui est redouté par les autres membres qui la soupçonnent de vouloir utiliser le Forum pour ses desseins, un peu à l'image de l'Arabie Saoudite au sein de l'OPEP », a estimé Mohamed Benhaddadi, professeur à l'Ecole polytechnique de Montréal, dans une précédente déclaration à El Watan. A Oran, le FPEG s'est comporté en fait comme une organisation. Il produit une déclaration finale, prend des décisions et se dote d'une structure de gestion basée à Doha (Qatar). Le prochain sommet du Forum, qui aura lieu en 2011, devrait théoriquement signer le début opérationnel de cette organisation.