Dans les consulats, la « crise du passeport », qui a drainé des milliers de citoyens ces dernières semaines, évolue vers le calme plat. Les résidents algériens à l'étranger semblent rassurés avec l'application des mesures sur le report de l'obligation du passeport biométrique à la fin novembre Paris (France). De notre correspondant Cherif Oualid, le consul d'Algérie à Bobigny, appelle les 140 000 ressortissants de sa circonscription à éviter les bousculades de dernier moment en profitant de l'accalmie pour engager les démarches avant le jour J. Il n'en demeure pas moins que le passeport et la carte nationale d'identité dans leur nouvelle mouture suscitent des inquiétudes et des questions. Un élément de plus pour creuser l'écart entre les usagers et une administration qui glisse vers un autre âge. En élevant la barre des exigences bureaucratiques au niveau de l'absurde, ces documents perdent leur qualité de droit. Pour la majorité des citoyens, la condition d'assignés à résidence se dessine comme une réalité proche. Le volumineux dossier pour la demande est téléchargeable sur le site du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales. Comparée aux procédures de très nombreux pays, la démarche caricaturale de notre administration est surprenante par son archaïsme et sa paranoïa sur le modèle des pays de l'Est, autrefois. Les USA, qui ont été à l'initiative, en octobre 2005, de l'intégration d'une puce contenant des éléments d'identité et d'une photo numérisée, n'ont pas exigé cette charge d'informations sur fond de suspicion, inutiles et peu conformes au respect des citoyens. Le questionnaire aurait été réalisé par une commission qui aurait accompli le travail en 18 mois. Beaucoup de temps pour compliquer l'existence des usagers. Ailleurs, les choses sont beaucoup plus simples. Ainsi, les ressortissants du royaume chérifien n'ont qu'un seul feuillet à remplir dans la plus grande simplicité. Pour les administrés algériens, ce parallèle est désolant. Mis à part sa longueur excessive et sa surcharge, cet interrogatoire révèle d'incalculables questions hors sujet et sans lien avec la constitution de l'identité en usage dans tous les pays modernes : nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, adresse et filiation. A ces éléments sont ajoutées photos et empreintes digitales pour la biométrie du passeport. C'est suffisant pour rendre impossible toute confusion entre deux personnes. Pourquoi donc faut-il indiquer « le groupe sanguin », un secret médical sans pertinence pour l'identification de la personne ? On note aussi cette question saugrenue sur « le nombre d'épouses » alors que la polygamie, même tolérée par le code de la famille, est un phénomène statistiquement insignifiant. La profession et le nom de l'employeur, des indications variables, sont aussi une exception algérienne. En quoi la profession est-elle constitutive de l'identité ? Les auteurs de ce déluge de questions ignorent-ils la variabilité professionnelle dans le temps. Durant la validité du passeport, un individu peut passer de lycéen (classe de terminale) à pilote de ligne, chef de daïra, chauffeur de taxi... Sarcasmes et plaisanteries « ça ouvre des perspectives heureuses pour des vocations de bureaux d'études juste pour les démarches du passeport », ironise ce jeune homme dans la salle d'attente du consulat d'Ivry. Saïd, qui gère un taxiphone à Bobigny, en région parisienne, pense que « dans les prochaines années, on devra compter de nombreux abstentionnistes aux élections puisque la carte d'électeur sera conditionnée par la carte d'identité sécurisée difficile à obtenir ». La question du service national et l'obligation de nommer des « camarades de contingent » indique de façon insidieuse que les papiers d'identité ne sont plus un droit mais une récompense à l'attention des méritants. Ce questionnaire insolite par son profil obsessionnel suscite sarcasmes et plaisanteries à l'étranger. Pour les intéressés, malheureusement, c'est un sujet qui fâche. On imagine, en effet, la réaction légitime d'un ancien déserteur d'origine allemande qui a rejoint l'ALN durant la guerre de Libération et a accédé à la nationalité algérienne pour avoir « fait partie d'une unité combattante », comme le précise le code de la nationalité. Il devra, désormais, décliner une ancienne attache nationalitaire répudiée par choix politique et dire l'année d'obtention de sa « nouvelle nationalité » algérienne. Forcément, ces questions absurdes soulèvent de faux clivages entre les « vrais » et les binationaux. Plus grave encore, l'indélicatesse et la nullité de cette interrogation discréditent la force juridique d'un décret puisque l'octroi de la nationalité est validée par le président de la République. Le passeport et la carte nationale d'identité deviennent un objectif laborieux et une mise à nu des administrés. Seules les personnes valides pourront accéder à ce droit au regard de la course aux obstacles imposée. Les individus vulnérables et sans soutiens familiaux n'auront pas d'autre choix que d'accepter la condition de « sans-papiers et clandestins » dans leur propre pays.