Ni officiellement suspendus ni franchement licenciés, ils sont loin d'être réintégrés. Plus d'un mois et demi après avoir « osé » dénoncer publiquement leur situation socioprofessionnelle précaire, les 7 journalistes et réalisateurs cachetiers de la station de radio El Bahdja sont comme suspendus à un crochet de boucher. De « l'arbitraire » dans toute sa splendeur, un « chantage alimentaire » qui ne dit pas son nom, une « situation kafkaïenne » pratiqués par un média public, la Radio algérienne, à l'endroit d'une frange de son personnel. Le collectif des grévistes d'El Bahdja a dénoncé, hier, lors d'un rassemblement devant le siège de la station algéroise, une situation jugée « intenable », leur statut d'éternels « précaires » auquel la direction de l'Entreprise nationale de radiodiffusion (ENRS) ne semble pas prête à remédier malgré les « engagements » pris par Toufik Khelladi, son DG, de réintégrer les membres du collectif empêchés de reprendre du service depuis leur mouvement de grève, le 7 mars dernier. Samir Larabi, le porte-parole du collectif, a rappelé dans son intervention les raisons qui ont amené les journalistes et réalisateurs d'El Bahdja à déclencher un mouvement de grève : « La majorité des employés du service information de la radio ont un statut de cachetier. Une situation qui dure depuis des années. Ce n'est ni conforme à la législation de travail ni à notre convention collective. Nous exerçons à plein temps un métier à risque, sans bénéficier pour autant des mêmes droits que l'ensemble du personnel de la radio. Le droit à un salaire digne, à une assurance sociale, assurance-vie, congé, formation… mais au lieu de répondre à nos revendications par le dialogue, la direction de l'ENRS a préféré user de la manière forte. Nous avons fait l'objet d'un dépôt de plainte pour occupation illégale d'un lieu public et entrave au service public, affaire classée par le tribunal de Sidi M'hamed. » La force publique a été, ajoute-t-il, réquisitionnée contre les grévistes, « non pas pour nous contraindre à reprendre le travail, mais pour nous empêcher de travailler ». A la veille de la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai, la situation des journalistes et réalisateurs des médias publics fait scandale. Plusieurs dizaines de personnes ont participé au rassemblement. Des syndicalistes du CLA, de l'Unpef, des travailleurs du port, des militants associatifs (association des amis d'Alger Républicain), des délégués de la Ligue algérienne des droits de l'homme, des journalistes, des représentants de la Coordination pour les libertés syndicales, des universitaires... Le porte-parole du Conseil des lycées d'Algérie (CLA) a apporté son soutien aux grévistes, soulignant que le combat qu'ils mènent « rejoint le combat global la précarité de l'emploi ». « Une précarité légalisée (et) mise à la disposition des opérateurs privés à travers les dispositifs d'aide publique à l'emploi. » Plus de 50% des enseignants sont contractuels, indique-t-il entre autres exemples ; des médecins sont recrutés suivant la formule du pré emploi… « mais le pire est à venir », indique-t-il. Le gouvernement s'apprête à renoncer à de nombreux acquis sociaux, notamment le droit de grève. Le nouveau code du travail va « légaliser la précarité de l'emploi », affirme le syndicaliste. Sofiane Aït Iflis, pour le comité de solidarité avec les grévistes de la Radio, lui emboîte le pas, rappelant la vanité des textes de lois. « Les employeurs publics sont, dit-il, les premiers à transgresser la réglementation du travail… Il serait dès lors illusoire d'imposer aux entreprises privées le strict respect de cette même loi ! » D'autres intervenants ont mis l'accent sur la nécessité de se mobiliser autour de la défense des libertés syndicales. Ahmed Badaoui, ex-secrétaire général du syndicat des Douanes, représentant du CLS, a fait une déclaration dans ce sens, appelant au passage à la « mobilisation générale » pour défendre les acquis du monde du travail. Le collectif des grévistes de la Radio tiendra, lundi 3 mai, un autre rassemblement de protestation.