Le rappeur de la place hip-hop de Annaba, Lotfi, l'ex-Double Kanon, vient de donner son tout premier concert en vedette « algérienne » et tête d'affiche, à la salle Ibn Khaldoun d'Alger. Lotfi est animé d'une balistique verbale, pertinente et impertinente et ne faisant guère dans la dentelle. Interview canonnière ! Enfin Lotfi Double Kanon en tête d'affiche en concert exclusif à Alger... C'est une victoire. Et dire que la première année quand nous sommes venus, ici, à Alger, nous nous y étions rendus en train. Il était tombé en panne à Réghaïa et puis nous avions pris le bus. On ne savait même pas où se trouvaient les taxis. Personne ne nous connaissait. On cherchait la radio El Bahdja pour donner une maquette. Le monde a tourné. Et maintenant, on voyage par avion avec prise en charge à l'hôtel et on vous attend à la radio. Et la moitié d'Alger te connaît. La place rap et hip-hop d'Alger connaissait déjà le groupe Double Kanon... On avait déjà commencé, ici, avec un pic en rap. Donc, après une baisse de régime. Le public algérois nous adorait. On ne savait pas comment le combler. Mais depuis sept hamdoulilah. C'est vrai qu'il y a des hauts et des bas. On garde une « bonne moyenne ». Avec respect... Oui, absolument ! Cependant, il y a une révolte dans le mouvement rap. Pourquoi cette adulation par le public. Ce qui est arrivé dans toutes les civilisations (grandeur et décadence). Au début vous étiez hardcore (tendance radicale du rap) et maintenant, c'est plutôt « gentil »... On a changé parce que le public est devenu plus large et varié. Ce n'est plus uniquement le public rap qui nous écoute. Des professeurs à l'université nous écoutent. Parce que c'est une expression de la société. Une représentation d'une frange juvénile de la société. Donc, nous avons élargi notre registre. C'est un risque à prendre. On n'incite pas les jeunes à la violence. Quand on parle de guerre en Irak, on n'en fait pas des kamilkazes. Mais on explique que nous, les Arabes, on est faible et que c'est une guerre préméditée. Sans prétention, on apporte quelque chose à la société. Il faut élever le niveau. Les groupes de rap sont obligés de se surpasser, car la barre est tenue par Double-Kanon. Ils sont obligés de suivre et d'être à jour dans le monde qui l'entoure. Et la seule solution, c'est « abattre » Lotfi. Il y a des groupes qui vous « taquinent »... Quand vous émergez de la foule tout le monde vous regarde. Cela fait partie du jeu... Effectivement, ça fait partie du jeu. Dans un titre je dis : « Ceux qui me critiquent, les pauvres je les utilise comme lièvres... » C'est comme une course de fond. C'est une histoire de cadence. Une certaine époque c'était Djib Tarf et Kafia (misogynie et substances illicites), cela a été mal perçu... (Rires). Au début, les gens n'avaient pas compris. Ils disaient que c'étaient des textes misogynes et intégristes. Vous n'êtes pas misogyne... Non pas du tout. On voulait montrer que la valeur d'une femme n'est pas dans l'apparence et l'habillement hidjab ou « civilisée ». Vous êtes un témoin de la société... C'est grâce à cela que le groupe marche. On a fait dans la proximité pour essayer de toucher tout le monde. Avec un trait humoristique... C'est le côté artistique comme celui des Guignols. De l'autre, c'est purement du journalisme. Avec la technique du name dropping (flot de noms propres, Claudia Schiffer, Belloumi, Amrou Khaled...)... Parfois, je prends un délire. Un compromis entre une métaphore et l'histoire. Vous vulgarisez l'histoire, la géographie et la culture générale en rimes rap... Voilà ! Le but, c'est de faire des recherches. C'est cela l'avenir du rap. Une culture limitée, c'est le piège dans lequel sont tombés des groupes. Vous avez quand même fait un featuring raï avec cheb Hassan... Oui, c'est un clin d'œil pour dire que le raï fait partie de la culture algérienne qu'on le veuille ou non avec le chaâbi, le malouf... On ne peut pas ignorer le raï. Cependant, il existe une partie des gens auxquels le raï ne plaît pas. Il y a une différence entre un artiste et un chanteur. On sent un travail recherché en matière de djing... Il ne faut pas oublier que l'ouïe et l'écoute évoluent. Les rappeurs américains sont loin de nous. On avance doucement pour, je l'espère, arriver à un niveau mondial. Quel regard portez-vous sur le rap algérien actuel ? Il existe des groupes, mais les moyens manquent. Ils veulent écrire et composer, mais il n'y a pas de lieux à cet effet. Aussi nous avons un projet de création d'atelier de technologie de sampling et rap dans les wilayas du pays. Et c'est aussi un travail de prospection. Actuellement, vous êtes établis en France... Je sens que je suis utile en mon pays. Quoique, là-bas (France), je sois financièrement à l'aise. Je suis disponible pour mon pays. Je contribue modestement avec ma pierre.