Leurs familles et leurs proches n'en croyaient pas leurs yeux, quand ils ont récemment lu sur Facebook le témoignage d'un jeune Algérien qui était détenu avec leurs enfants dans une prison en Tunisie. Après deux ans de calvaire, de chagrin et de quête de vérité, les parents des 15 harraga ayant pris le large à partir de Boumerdès dans la nuit du 27 septembre 2017 retrouvent un brin d'espoir de revoir leur progéniture saine et sauve. Mais leur espoir est mêlé d'un sentiment d'indignation et de colère à l'égard des autorités tunisiennes et ils dénoncent le silence et le laxisme de l'ambassade d'Algérie à Tunis qui, selon eux, n'a rien fait pour mettre la lumière sur cette affaire et permettre aux détenus de regagner leur pays et les leurs. «Comment est-ce possible que ce pays frère ait osé emprisonner et maltraiter nos enfants en prison sans daigner informer qui que ce soit ? Il s'agit d'une grave atteinte aux droits humains et une preuve du non-respect de l'amitié qui lie nos deux pays», estime Omar, frère de Yacine Dif, un malheureux harrag qui a pris le large il y a 20 mois pour rallier le vieux continent. Rencontré hier, Saïd Merabet (25 ans) affirme avoir bel et bien rencontré deux harraga natifs de Boumerdès dans la cellule 5A de la prison de Marnaguia, en Tunisie. «L'un d'eux s'appelle Merah Ahmed ; il habitait à Si Mustapha. Et l'autre Ben Nebri Mohamed de Zemmouri. Ils m'ont dit qu'ils avaient été arrêtés en compagnie de 13 autres jeunes par les gardes-côtes tunisiens fin septembre 2017. Et ils ont été mis en prison sans savoir qu'elles sont les accusations retenues à leur encontre», a-t-il révélé. Interprète de formation, Saïd a travaillé dans une société turque. Il a été arrêté au port de Halk El Oued alors qu'il tentait de monter à bord d'un bateau en partance vers l'Italie. Saïd a passé deux jours dans la prison de Bouchoucha, puis il a été transféré vers celle d'El Marnaguia, où il est resté près de six mois avant d'être libéré à l'issue d'un procès en cassation et le payement d'une amende de 400 000 DA. Son témoignage ne fait que confirmer ce que des centaines de familles de harraga disparus de la wilaya de Annaba n'ont cessé de dénoncer depuis plusieurs années. L'ambassadeur d'Algérie aux abonnés absents L'année dernière, des dizaines de mères et de pères inconsolables ont protesté devant le consulat de Tunisie de cette wilaya pour connaître le sort de leurs enfants, dont plusieurs sources avaient annoncé leur arrestation par les gardes-côtes du voisin de l'est. Comme attendu, les révélations de Saïd Merabet n'ont pas laissé les familles des harraga indifférentes. «Depuis janvier à ce jour, nous sommes allés trois fois voir le consulat d'Algérie à Tunis afin de solliciter son aide pour retrouver nos enfants, mais on a fermé les portes devant nous. En mars dernier, on a été reçus par la chargée des affaires sociales. Une certaine Alia. On lui a donné les noms des disparus. Elle a vérifié sur micro. Elle n'a rien trouvé, alors qu'elle nous avait assuré détenir toutes les informations sur le dossier des Algériens arrêtés ou emprisonnés en Tunisie, y compris ceux qui ont déjà été condamnés. En vérité, ils ignorent tout. La preuve, même le nom de Saïd Merabet ne figure pas dans leur répertoire. Cela bien que je lui ai montré une copie de son jugement», relate le frère de Dif Yacine, un harrag qui exerçait comme marin à Zemmouri. Malgré ces embûches, notre interlocuteur ne désespère pas de le retrouver. Sa quête de vérité l'a mené vers de nombreuses prisons tunisiennes à Nador, Kef et Marnaguia. Aucune nouvelle. «Je suis même allé à la direction générale des établissements pénitenciers. Personne ne voulait me recevoir. Certains m'ont dit que les autorités tunisiennes considèrent les harraga comme des terroristes. Les enquêtes durent 14 mois. Il y a quelques jours, j'ai rencontré un Algérien de Boghni. Il était à la prison de Marnaguia. Il a été condamné à 15 ans de prison. Il m'a dit qu'il y a plein d'Algériens dans les geôles tunisiennes et qu'il y a une catégorie qu'on isole des autres détenus. Celui qui ose parler avec eux ou les approcher risque de voir sa peine aggravée. On m'a aussi raconté l'histoire d'un gars de Tébessa qui a plus de 19 ans en prison et qui n'a même pas de vêtement ni de claquettes. J'ai été sidéré aussi par l'histoire du commandant de l'ANP qui a échoué près des frontières avant d'être arrêté. Cela fait 4 ans qu'il est en prison, personne n'a bougé pour le libérer. Les Tunisiens nous voient comme des frères, mais leurs services de sécurité nous taxent de terroristes. Celui qui arrête un Algérien pour un délit aura une prime. C'est ça l'amitié ?» rage-t-il. Les autorités tunisiennes face au devoir de vérité Après une salve de critiques sur les réseaux sociaux, un député de la région, Rekkas Djemma, agit pour faire la lumière sur cette affaire qui a défrayé la chronique. Le 21 avril, il saisit l'ambassade d'Algérie à Tunis, mais sa correspondance est restée lettre morte. Trois jours plus tard, M. Rekkas affirme, avec des documents à l'appui, avoir interpellé le président de la commission des affaires étrangères de l'APN. En vain. Ce laxisme inadmissible a vite incité le député à partir en Tunisie où il a pris contact avec des parlementaires et des organisations de droits de l'homme locales. «Certains m'ont appris qu'il y a au moins 80 détenus Algériens là-bas. La législation tunisienne considère toute personne qui entre de manière irrégulière sur le territoire national comme terroriste potentiel. D'où les difficultés de retrouver les traces des disparus», souligne-t-il. Interpellée par le député, l'ambassade d'Algérie à Tunis a demandé, jeudi dernier (2 mai), au ministère des Affaires étrangères de Tunisie, via une lettre dont nous avons une copie, de lui fournir dans les meilleurs délais toutes les informations sur cette affaire. Mais pourquoi avoir attendu tout ce temps pour agir afin de mettre un terme aux souffrances des familles des disparus ? Pourtant même le groupe de travail des disparitions forcées ou involontaires de l'ONU a approuvé la thèse des proches des harraga disparus, notamment celles établies à Annaba. En décembre dernier, une dizaine de leurs plaintes ont été jugées recevables par l'instance onusienne, compte tenu des preuves tangibles fournies sur la détention illégales de leurs enfants en Tunisie. Mais le travail de ce groupe et bien d'autres organisations des droits de l'homme n'a pas dépassé le stade de constat.