Le chef d'état-major Gaïd Salah a dilapidé les préjugés favorables du mouvement populaire engrangés durant les premiers vendredis de contestation, où des slogans plutôt favorables de soutien lui avaient été témoignés. Particulièrement après son discours historique de Ouargla, où il s'était violemment attaqué à la «bande». Depuis le recadrage de son discours de ces toutes dernières semaines, axé autour de l'irreversibilité du choix de la voie constitutionnelle et de l'option non négociable de l'élection présidentielle avec les institutions et les hommes en place, rejetés par le peuple, le mariage de raison entre lui et la rue apparaît rompu et bel et bien consommé. Ce vendredi, le chef d'état-major a ravi la vedette à toutes les cibles potentielles des manifestants. Il était à l'affiche sur toutes les pancartes et sur les slogans brandis en ce 12e week-end de contestation pour réclamer le départ du système et la mise en œuvre d'une période de transition démocratique devant déboucher sur l'avènement d'une nouvelle République. Pourtant, lorsque la justice était entrée en scène et que des symboles du système bouteflikien représentant le monde des affaires et de la politique se sont retrouvés face à la justice et incarcérés pour certains d'entre eux, Gaïd Salah avait engrangé de précieux dividendes politiques auprès de l'opinion publique. Le fameux slogan «Djeich-chaab khaoua khaoua» était le seul positif qui sortait du lot du florilège des amabilités réservées au système et à ses symboles dans les mots d'ordre des manifestants. L'idylle n'aura duré que le temps furtif d'un discours qui a vécu. Une crise de confiance quasi totale s'est désormais installée entre la hiérarchie militaire et le mouvement de contestation accentuée par les dernières déclarations du chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, ramant à contre-courant des revendications populaires, réitérant l'engagement de l'Etat pour tenir l'élection présidentielle dans les délais prévus. Rien dans les déclarations et actes du pouvoir ne trouve crédit aux yeux de l'opinion. Toutes les institutions en place sont logées à la même enseigne. Le commandement de l'armée qui était épargné dans l'ambiance générale de rejet du système hérité de Bouteflika s'en est trouvé lui aussi, suite aux repositionnements de ces dernières semaines, épinglé et pointé du doigt. En dépit des arrestations fracassantes de ces derniers jours, dont celle de Saïd Bouteflika, frère de l'ancien Président, qui cristallise pourtant toute la colère des Algériens vis-à-vis du système prédateur, Gaïd Salah ne parvient pas à se reconcilier avec la rue. Signe que le courant est rompu : il a zappé, pour la première fois depuis le 22 février, sa traditionnelle intervention d'avant les marches populaires à l'occasion des manifestation de ce 12e vendredi. Combiné à l'arrestation, en fin de semaine, de la patronne du Parti des travailleurs, Mme Louisa Hanoune, et aux menaces en règle de la revue El Djeich contre les parties accusées de pousser vers le vide institutionnel, l'attitude de l'armée qui est passée d'acteur politique particulièrement loquace, au mode silencieux, suscite interrogations et inquiétudes au sein de l'opinion et de la classe politique. Les réactions indignées enregistrées suite aux poursuites judiciaires engagées par la justice militaire à l'encontre de la première responsable du PT illustrent la crainte et le malaise général grandissants qui se sont emparés de la société quant au respect des libertés et du pluralisme, voire de la nature républicaine de l'Etat dans cette période sensible et confuse que traverse le pays. Gaïd Salah a beau jurer qu'il n'a rien cédé sur ses engagements d'être aux côtés du mouvement populaire, le processus politique et électoral qui se met résolument en place, à pas forcés, plaide le contraire. L'attitude du chef d'état-major est d'autant plus difficile à expliquer et à décoder qu'il a déjà fait l'essentiel du travail le plus complexe, celui du déminage du champ des luttes claniques en neutralisant les forces agissantes de l'ancien système qui pouvaient faire ombrage à la marche de l'Algérie vers un nouveau destin. A présent que le front est pacifié, il devrait pouvoir jouer sur du velours en étant plus à l'écoute des revendications populaires que de surveiller ses arrières des comploteurs contre le hirak tapis dans les limbes du système et dont le noyau dur est censé être neutralisé. Le silence inhabituel observé cette semaine par le commandement militaire est le signe d'un mauvais présage .