A moins de deux mois de la date de l'élection présidentielle du 4 juillet, à laquelle a appelé le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, contre l'avis de millions d'Algériens qui réclament un changement radical du système, le pays se trouve toujours dans une impasse politique totale. Le pouvoir peine à rallier à sa démarche la classe politique aussi bien de l'opposition que de l'ancienne majorité présidentielle. Pris entre le marteau de ce même pouvoir dont ils se sont toujours considérés comme des appendices, et l'enclume du mouvement de contestation populaire dont ils tentent d'atténuer les contrecoups en surfant sur la vague populaire, le Fln, le Rnd et les autres formations satellites sont face à un cruel dilemme. Celui de sauver ce qui peut l'être de ces reliques du système en proie à de profonds remous et recompositions dictées par la faillite de l'ordre bouteflikien déchu, tout en continuant à cautionner et à soutenir la feuille de route du pouvoir dans ses variantes successives. Le plus grand handicap des institutions en place réside dans leur déficit de légitimité, qui est à l'origine du rejet populaire des hommes issus de l'ancien système ainsi que de la feuille de route tracée. Ce déficit de légitimité a affaibli, jusqu'à la caricature, les pouvoirs constitutionnels et les prérogatives des institutions de l'Etat, particulièrement le chef de l'Etat et le Premier ministre, qui éprouvent les pires difficultés à concrétiser la mission impossible d'organiser, dans le contexte de la crise politique actuelle que traverse le pays, l'élection présidentielle à la date prévue. Le rôle du chef de l'Etat qui est, dans la conjoncture de crise que traverse le pays, éminemment politique, même s'il n'est qu'intérimaire, se voit paradoxalement réduit à un attribut quasi protocolaire, partagé entre la signature à un rythme soutenu de décrets de nomination et de fin de mission de hauts responsables décidées sans nul doute ailleurs, et des discours de circonstance totalement déconnectés des attentes et des revendications des citoyens. Bensalah a montré – pour ceux qui en doutaient – à l'exercice du pouvoir, qu'il n'a ni l'étoffe du poste ni le parcours politique et les mains libres pour être l'architecte de l'Algérie nouvelle de demain. Cette défaillance programmée de l'institution présidentielle dépossédée de ses prérogatives a contribué à propulser à l'avant-scène l'institution militaire qui s'est retrouvée au four et au moulin : à camper le rôle qui n'est pas le sien de «guide» politique, de justicier, en plus de ses missions régaliennes de défense de la sécurité nationale. C'est l'état-major de l'Anp, à travers son chef, le général de corps d'armée Gaïd Salah, qui fixe le cap, anime la vie politique, structure le débat, affronte la colère de la rue et dialogue à distance avec le hirak. C'est pourquoi tous les regards sont tournés vers l'institution militaire, qui est vivement interpellée pour jouer un rôle plus constructif dans le sens de la satisfaction des revendications populaires pour une Algérie refondée, affranchie des pesanteurs et des scories du passé. Absence de légitimité C'est dans ce sens qu'un appel de plus en plus pressant est lancé par certains acteurs politiques, à l'instar du président de Jil Jadid, Soufiane Djilali, pour ouvrir des négociations avec l'armée en vue de sortir de la crise politique dans laquelle se trouve le pays. Gaïd salah avait promis de mettre toute son autorité pour accompagner le mouvement populaire jusqu'au succès final quoi qu'il lui en coûtera. Ses rétropédalages ont semé le doute dans les esprits. L'armée, qui a mis son poids dans la lutte contre la corruption en espérant engranger les dividendes politiques d'une telle opération pour gagner la confiance et le soutien populaires à sa feuille de route, n'a pas réussi à créer cette relation fusionnelle clamée chaque vendredi et à chaque sortie par les manifestations à travers leur slogan fétiche «Djeïch-chaab, khaoua-khaoua». L'idylle ne peut pas durer indéfiniment. Tout en adaptant ses slogans aux positionnements des acteurs en charge de la gestion de la crise, la rue a fait le choix de continuer à faire confiance à l'institution militaire tout en restant vigilante sur les tentations de la hiérarchie militaire d'imposer cette solution kafkaïenne qui consiste à vouloir à la fois sauver le système et œuvrer pour son changement. Trop de temps a été déjà perdu. L'économie est au bord de l'asphyxie. Plus la solution tardera à intervenir, plus lourde sera la facture. Gaïd Salah peut-il, tout en reconnaissant la légitimité des revendications populaires, cautionner un processus politique et électoral rejeté par la vox populi ? Est-il prêt à donner sa bénédiction à un scrutin qui sera majoritairement boycotté s'il se tient ? Prend-on la mesure des conséquences sécuritaires qu'un tel coup de force électoral pourrait faire peser sur la paix civile dans le pays ? Ce sont tous ces paramètres et d'autres, politiques, liés au rendez-vous historique raté avec la démocratie, que le mouvement populaire a puissamment mis en évidence et que le pouvoir réel devrait profondément méditer.