Jamais le pays n'a connu un tel foisonnement d'idées politiques, aussi généreuses qu'efficaces, à la hauteur des défis de l'heure. La révolution démocratique en cours dans le pays boucle son troisième mois de mobilisation populaire sans répit. Avec la même détermination, les Algériens en lutte pour l'instauration d'un ordre démocratique entraînent tout le pays sur la voie de la transformation profonde de la vie politique. Persévérants, ils ont engrangé des victoires politiques importantes et opéré des mutations culturelles considérables. Conscients des risques de repli, ils n'entendent pas abandonner la grande bataille au milieu du gué. Ils s'opposent surtout à ce que le fleuve parti de l'historique journée du 22 février ne soit détourné de son lit naturel. Cependant, le prolongement politique devant donner corps et âme à cette dynamique histrionique tarde à se formaliser. Face à ce puissant désir de changement, l'insurrection citoyenne bute sur un blocage politique du fait du refus du pouvoir à saisir cette séquence historique qui s'ouvre pour le pays. Un décalage énorme sépare le peuple du vendredi des décideurs. Ces derniers sont dans un déni incompréhensible qui peut s'avérer périlleux pour toute la nation et mortel pour la communion retrouvée à la faveur du mouvement du 22 février. La multitude de voix de la raison porteuses de propositions sérieuses, claires et raisonnables de sortie de crise qui s'expriment, ne trouvent pas d'échos chez le pouvoir incarné le chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah. En premier ligne depuis la déposition de Abdelaziz Bouteflika, le vice-ministre de la Défense nationale affiche son opposition frontale à l'option d'une période de transition négociée. S'accroche mordicus à l'ordre constitutionnel qui pourtant constitue un facteur de blocage dans ce contexte révolutionnaire dominant. Un cul-de-sac. Caduque et inopérante, la Loi fondamentale ne peut servir de base sur laquelle peut s'appuyer toute démarche visant à sortir de l'impasse. L'impossibilité de tenir l'élection présidentielle prévue pour le 4 juillet prochain est la preuve éclatante du piège constitutionnel. Ahmed Gaïd Salah donne de plus en plus l'impression d'être un homme qui n'a pas pris acte de la nouvelle séquence historique qui s'ouvre sur le pays. Fait-il dans la manœuvre ? Son discours d'avant-hier confirme en tout cas l'énorme fossé entre l'aspiration populaire pour passer avec sérénité vers une IIe République fondée sur la démocratie et les libertés d'un côté, et d'un ordre ancien d'un autre côté. Ainsi et au terme de 13 vendredis de mobilisation populaire inédite, le pays s'installe dans un face-à-face extrêmement tendu. Le chef d'état-major, qui en réalité agit sur le terrain politique en jugeant les personnalités nationales, portant des appréciations sur le contenu des mots d'ordre des manifestations populaires et surtout en suggérant au mouvement populaire une manière d'agir, devient de fait un acteur dans l'équation. Un protagoniste qui défend un choix politique et s'oppose aux autres qu'il n'hésite pas à persécuter. Le contenu de son intervention au sein de la 4e Région militaire l'installe définitivement dans ce rôle d'acteur politique. En attestant de «l'absence flagrante des personnalités nationales, des élites et des compétences nationales face aux événements et évolutions accélérés que connaît notre pays et qui requièrent des propositions constructives à même de rapprocher les points de vue divergents», Ahmed Gaïd Salah prend clairement partie dans la crise politique actuelle. Lui qui ne cesse de répéter l'équidistance de l'institution militaire et qu'elle est au-dessus des luttes politiques. Il se met ainsi dans une posture où il ne peut plus assurer les arbitrages. Il perd sa position transcendantale que lui confère son statut de chef d'état-major et surtout en raison de l'effacement de l'autre institution qui est la présidence de la République. Transparent, le chef d'Etat, Abdelkader Bensalah, ne fait qu'office de figurant. Se faisant, le chef d'état-major se retrouve au centre des critiques du mouvement comme ce fut le cas vendredi dernier. Ce qui explique manifestement sa nervosité apparente dans son discours d'avant-hier. Sa rhétorique menaçante atteste de la perte de son sang froid, alors que la conjoncture requiert sérénité, lucidité et surtout de l'apaisement. Affirmer «l'absence flagrante des personnalités nationales, des élites et des compétences nationales face aux événements» en cours dans le pays relève du déni, une mauvaise appréciation de la réalité nationale. Jamais le pays n'a connu un tel foisonnement d'idées politiques, aussi généreuses qu'efficaces, à la hauteur des défis de l'heure. Les Algériens se mettent massivement à penser, et panser le pays. Jamais le pays n'a connu une aussi grande mobilisation des compétences de ses élites politiques et intellectuelles disposées jouer un rôle décisif dans la construction de l'Algérie de demain. Dans un élan de communion sans commune mesure, les Algériens dans leurs divergences politiques, intellectuelles et idéologiques agissent ensemble pour un même destin. En ces journées de printemps insurrectionnel, c'est l'Algérie nouvelle qui s'invente. C'est une résurrection. L'attitude du pouvoir est à contre-courant de l'histoire.