Le démantèlement d'un réseau de trafic de ciment aux ramifications régionales, la semaine dernière à Bordj Bou Arréridj, révèle beaucoup sur les procédés utilisés dans le milieu pour contourner les dispositifs de contrôle dans la filière. Il dévoile également les complicités et les « relais » sur lesquels s'appuient les spéculateurs pour rafler de grosses quantités de ce produit névralgique. Accusée de spéculation, fuite fiscale, faux et usage de faux, escroquerie et usurpation d'identité, une bande de 30 personnes, demeurant dans les wilayas de Bordj Bou Arréridj, Sétif, M'sila et Alger, a été arrêtée par la brigade de recherche de la gendarmerie. Celle-ci, précise le chargé de la cellule de communication du groupement de gendarmerie, sévissait dans la région. L'enquête a également montré que les chefs de la bande en question sont au nombre de cinq. Tout a commencé par l'arrestation d'un chauffeur de camion transportant 20 t de ciment vers la commune de Medjana, une destination opposée à celle indiquée sur la facture. Le chauffeur a déclaré qu'il suivait les directives d'un gérant d'une société de transport routier, sise à Bordj Bou Arréridj. Ce qui mettra les enquêteurs sur la piste d'un trafic à grande échelle de ce produit, confirmant ainsi les renseignements qu'ils détenaient à ce sujet. Des banquiers impliqués Les enquêteurs ont alors remonté la filière en confrontant leurs informations avec celles des contrôleurs du commerce, qui ont été intrigués par la situation d'un commerçant de matériaux de construction de la commune de Bir Kasd Ali. Ce dernier ne disposait pas de factures de vente correspondant à celles qu'il obtenait à l'achat. Autre élément anormal pour les mêmes contrôleurs : les quantités étaient trop importantes pour les besoins de la commune. Après des investigations poussées, les gendarmes ont découvert qu'il s'agissait en réalité d'une jeune femme de 35 ans. Question : comment une femme célibataire, qui louait quelques garages, pouvait-elle acheter des quantités aussi importantes ? En fait, c'était une société fictive. Mais qui était derrière tout cela ? Les enquêteurs ont exploité l'arrestation du camionneur pour découvrir qu'il s'agissait de son patron. Ce dernier, âgé de 33 ans, a monté le réseau avec 30 éléments issus de tous les horizons : commerçants, routiers, fonctionnaires de la société de l'usine de ciment de M'sila, dont deux de nationalité égyptienne de la direction d'Alger, et des agents de banque. Pour faire rouler leur affaire, ils recrutaient des gens à qui ils demandaient de créer un commerce, et à l'aide de leurs registres du commerce et la complicité des employés de la direction de l'usine du ciment, ils délivraient des bons pour ce produit. La jeune femme, par exemple, a acheté une quantité de 18 300 t de ciment, soit 100 t par jour, pour un chiffre d'affaires de 22 milliards de centimes et une fraude fiscale de plus de 8 milliards de centimes. Elle n'était pas la seule, une deuxième personne de Sétif a pu avoir, en 4 ans, des bons de ciment d'une quantité de 300 000 t. Son chiffre d'affaires a dépassé les 400 milliards de centimes et une fuite fiscale de 24 milliards de centimes. Le chiffre d'affaires d'un des membres du réseau, de la wilaya de Sétif, âgé de 34 ans, a atteint 2400 milliards de centimes avec une fraude fiscale de 122 milliards de centimes. Les deux Egyptiens, qui étaient des cadres de la direction générale de la cimenterie à Alger, facilitaient l'obtention de bons. Les membres du réseau pouvaient retirer toutes les quantités qu'ils voulaient alors que les auto-constructeurs, et même les entrepreneurs, étaient limités dans leurs achats. Le rôle des banquiers était tout aussi déterminant, sachant que la circulation de sommes importantes via le circuit bancaire aurait attiré l'attention des responsables des établissements financiers. Comme il s'agit de commerce informel, l'utilisation des liquidités était de mise. Or, les banquiers facilitaient le paiement de cette façon pour échapper aux soupçons. Ce commerce, qui durait depuis des années, s'est traduit par une crise sur le produit avec un prix qui a triplé, surtout après la fermeture pour entretien de la cimenterie de Aïn Kebira. Le Trésor public a connu un grave préjudice au vu de l'importante évasion fiscale, ayant entraîné un manque à gagner pour cette structure. Pendant cette période, les membres du réseau avaient enregistré des gains astronomiques. Certains d'entre eux ont rapidement manifesté des signes de richesse apparente. Présentés dimanche dernier devant le magistrat instructeur près le tribunal de Bordj Bou Arréridj, les cinq « cerveaux » du réseau ont été placés sous mandat de dépôt, deux autres membres mis sous contrôle judiciaire et le reste du réseau a fait l'objet d'une citation directe.