La Maison des syndicats de Bachedjarrah a abrité hier un « forum sur les libertés » organisé à l'initiative de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme. Ce forum qui se déclinait sous la problématique : « Les libertés : qu'en reste-t-il ? » s'est articulé, grosso modo, sur deux sujets : le monde syndical, à l'occasion du 1er Mai et puis l'examen de la situation de la presse pour marquer la journée du 3 mai, dédiée à la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse. Avant d'ouvrir les travaux de ce forum, Me Mustapha Bouchachi, président de la LADDH, a invité l'assemblée à une minute de silence en hommage à notre très chère consœur Baya Gacemi qui vient de nous quitter en même temps que notre autre valeureux confrère Mohamed Issami. « Dans les pays démocratiques, on célèbre comme il se doit la fête des travailleurs et celle des journalistes afin de mettre en relief les réalisations accomplies dans ces domaines. Malheureusement, ce n'est pas le cas chez nous, parce que nous n'avons rien réalisé qui mette en valeur la dignité des Algériens », affirme Mustapha Bouchachi en guise d'introduction. « On ne peut pas fêter le 1er Mai, quand on a 10 millions de jeunes qui courent après un poste d'emploi et que d'autres millions vivent avec la hantise de la perte de leur travail », ajoute-t-il. Prenant le relais, Me Noureddine Benissad, vice-président de la LADDH et modérateur du débat, a mis l'accent sur les menaces qui pèsent sur les libertés en général et le droit syndical en particulier. « Nous sommes loin des standards internationaux en matière des droits de l'homme », résume-t-il, avant de céder la parole à Me Khaled Bourayou pour la première communication du jour, consacrée à la liberté de la presse. Me Bourayou connaît bien le sujet pour avoir assuré la défense de nombreux titres dans des affaires de délit de presse. Pour lui, le régime ne s'est pas fait long à désactiver la loi « Hamrouche » qui consacra le pluralisme médiatique. « La chancellerie a vite pris les choses en main. Alors que dans la loi d'avril 1990, il suffisait juste de déclarer la publication au procureur de la République et celui-ci était tenu de délivrer un récépissé, la chancellerie a installé un régime d'autorisation », souligne Me Bourayou. On l'aura compris : l'audiovisuel sera le plus grand perdant de ce verrouillage. La preuve : à ce jour, l'Algérie n'a pas connu la moindre chaîne libre, pas même une radio de lycée ! Ce qui fera dire à Me Bourayou : « Nous sommes, aujourd'hui, le pays le plus fermé en matière de médias lourds. » Khaled Bourayou a évoqué aussi l'aggravation des peines pour les journalistes dans les affaires de diffamation, notamment avec le « code Ouyahia », comme on l'a surnommé, allusion à l'amendement du code pénal en 2001, qui a durci les peines contre les journalistes. Et de dénoncer la propension du parquet à s'autosaisir sans qu'il y ait dépôt de plainte. « Aujourd'hui, un journal comme El Watan a plus de 500 procès. El Khabar aussi », indique-t-il, en précisant que beaucoup de procès opposent la presse au MDN. Pour une coalition des syndicats libres Pour l'orateur, la profession est passée d'une « presse de combat qui était la cible du terrorisme intégriste à une presse d'information qui se mêle de la gestion de la chose publique, ce qui agace le pouvoir. La presse est entrée donc dans un bras de fer avec le pouvoir », conclut-il, en plaidant pour la dépénalisation du délit de presse. L'intervention de Me Bourayou donnera lieu à un débat assez vif. Me Aïssa Rahmoune, avocat et militant de la LADDH, invite les gens des médias à faire leur autocritique. Il reproche particulièrement à un large secteur de la presse dans les années 1990 d'avoir diabolisé les signataires du Contrat de Rome. Hakim Addad de RAJ regrette, pour sa part, la disparition d'un titre comme La Nation. Pour lui, « il est primordial que les journalistes se mobilisent dans leur propre rédaction contre la censure qui sévit à tous les niveaux, ceci au vu de l'honorabilité et de la responsabilité du métier et du rôle de journaliste ». Plus loin, dans le débat, il fera un plaidoyer pour un « front commun des luttes ». « Il y a lieu de créer une coordination d'organisations et de citoyens qui se mobilisent pour les libertés et pour l'abrogation de l'état d'urgence », dira-t-il. Dans la partie « syndicale » du débat, le professeur Kaddour Chouicha, enseignant universitaire à l'USTO d'Oran et militant syndicaliste au sein du CNES, a consacré son exposé à l'analyse du champ syndical dans notre pays. Il note d'emblée que ce ne sont pas les luttes des travailleurs qui ont permis la création d'organisations syndicales indépendantes, mais « les sacrifices des jeunes d'Octobre 1988 ». « Les classes moyennes ont profité de cet espace de liberté pour créer des syndicats. » Parlant de l'UGTA, il cite une formule fort pertinente de Saïd Chikhi qui énonce : « L'UGTA est un syndicat donné par le pouvoir aux travailleurs. » Durant les années 1990, Kaddour Chouicha relève que « l'appareil répressif du pouvoir était occupé à combattre l'islamisme armé ». Après la (relative) pacification des maquis, le pouvoir va, dit-il, tourner cet arsenal répressif contre la société. Dans le lot, les syndicats libres sont réprimés. Le conférencier souligne, par ailleurs, que nombre de partenaires sociaux se sont mis à négocier en rangs dispersés un « pacte social » avec les pouvoirs publics dans un esprit « corporatiste », regrette-t-il, « en ignorant la question des libertés ». « Les organisations syndicales ne peuvent pas se retirer de ce débat », insiste-t-il, en exhortant les syndicats indépendants à constituer des « regroupements stratégiques » pour contrer le monopole de la centrale syndicale. Haro sur les apparatchiks de l'UGTA Maître Ali Yahia Abdennour enchaîne en brossant un tableau inquiétant de la situation politique et sociale qui prévaut actuellement sous nos latitudes. « Nous sommes restés des sujets après l'indépendance », tonne-t-il. En présence de Rachid Malaoui, secrétaire général du Snapap, Me Ali Yahia rappelle que « le Snapap a déposé plainte contre le gouvernement algérien pour non-respect des conventions de l'OIT et du BIT ». Il relève que plus de 50 syndicats ne sont pas reconnus. Fustigeant au passage le Parlement, il le qualifie de « maison de retraite pour riches », dénonce l'aliénation de la justice et brocarde copieusement les « apparatchiks » de la Maison du peuple en lançant : « La haute hiérarchie syndicale de l'UGTA est constituée de gens qui sont devenus des cadres de la nation. Ils sont tous sénateurs ou députés, avec de gros salaires. Comment peuvent-ils ressentir les difficultés de quelqu'un qui touche 15 000 ou 20 000 DA ? », assène-t-il. Le président d'honneur de la LADDH fait remarquer que l'inflation galopante annihile toutes les augmentations consenties aux travailleurs : « L'inflation est de 5,5%, selon le gouvernement. Selon mes informations, elle tourne autour de 7,2%. Cela signifie que ce qu'on vous donne de la main gauche, on vous le reprend de la main droite. » Et de marteler, rieur : « Décidément, il y a des gens qui souffrent de la faim et d'autres qui souffrent d'indigestion ! »