L'avocat Ksentini s'est dit «inquiet» des suites données au rapport portant réforme de la justice. Hier, au forum organisé hebdomadairement par le quotidien El Moudjahid, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (créée par Bouteflika en janvier dernier) a abordé plusieurs aspects de la question des droits humains en Algérie. Me Farouk Ksentini, en l'occurence, et selon des natifs de Blida où il exerce depuis plusieurs années au barreau, est un homme correct très fils de famille - très «ness mleh» - et a été membre du comité local de soutien au candidat Bouteflika lors de la présidentielle de 1997. Plusieurs personnalités étaient présentes à cette séance de débat : les avocats Miloud Brahimi, Mohand Issad, le président du syndicat des magistrats, Tayeb Louh, quelques ambassadeurs et des représentants des cellules de communication des services de sécurité en plus des journalistes. «Il reste beaucoup de portes à enfoncer», déclare d'emblée M.Ksentini. Pour lui, énormément de tabous sont à briser dans un pays où «la torture est une violence gratuite et est pratiquée dans nos commissariats et nos postes de gendarmerie parce que nos services de sécurité vivent dans la religion de l'aveu», et de lancer: «C'est une honte pour notre pays.» Le président de la nouvelle commission, qui nie toute «relation organique» avec le défunt Observatoire national des droits de l'Homme de Rezak Bara, présente l'instance qu'il dirige comme «un lobby dans le sens positif, un magistère moral» et non comme un pouvoir ou un contre-pouvoir. Sur cette même lancée, il ajoute que la garantie de la probité de la Cncppdh reste «la détermination de ses 44 membres à ne pas se déshonorer» ainsi que «l'autorité directe du Président Bouteflika sur cette commission». M.Ksentini reconduit le discours officiel et organique relatif à l'image de l'Algérie face aux organisations non gouvernementales internationales de défense des droits humains en replaçant la problématique des droits de l'Homme entre la période coloniale et le terrorisme des années 90, mais sans aucune transition. Il y aura bien sûr les différentes ligues jalonnant les deux dernières décennies et le Comité national contre la torture créé le 17 octobre 1988 et dont la plupart des membres ont été assassinés par des groupes armés, mais beaucoup reste à faire comme le rappelle Me Brahimi en considérant que «les choses en matière de droits de l'Homme vont mal en Algérie». Me Ksentini nourrit aussi l'espoir de faire de l'année 2002 l'an I des droits de l'Homme en Algérie. L'occasion aussi pour l'orateur de rebondir sur la question des disparus: «Nous avons hérité de l'ONDH 4.600 dossiers dont quelques cas ont été solutionnés.» Pour lui, la solution à cet épineux problème est de faire toute la lumière sur ces cas. «Parce qu'on ne peut les ressusciter», appuie-t-il. De son avis personnel, la liberté de constituer des associations pour les familles de victimes et un système d'indemnisation peuvent participer au règlement de cette question. La condamnation de Mohamed Smaïn, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme de Relizane à un an de prison ferme est «consternante» selon M.Ksentini. Toutefois, il précise que dans cette affaire il y a toujours des voies de recours: «Je refuse de croire que M.Smaïn n'aura pas droit à un procès équitable.» Interrogé plus en profondeur, M.Ksentini a avoué «ne pas être très au courant du détail de cette affaire». Le débat s'est ensuite repositionné autour du rôle des magistrats et de la justice. L'avocat Ksentini s'est dit «inquiet» des suites données au rapport portant réforme de la justice. Conforté par Me Brahimi qui assène que «la justice ne s'est jamais aussi mal portée que depuis qu'on parle de la réformer». Me Ksentini abonde dans le même sens en espérant que les responsables du département d'Ouyahia «auront l'honnêteté de ne pas retoucher ce projet». Le cas des magistrats suspendus a été soulevé par un confrère qui a notamment mis l'accent sur le combat de Tayeb Louh, président du Syndicat autonome des magistrats. Farouk Ksentini a expédié le tableau en une phrase: «Il existe des magistrats admirables, d'autres exécrables et d'autres encore incurables.» Il a fulminé contre une certaine idée de la Justice en lâchant: «Dans ce pays, on complote contre la justice, surtout dans les affaires civiles... On juge dans toutes les directions. C'est le chaos!»