– Dans quels conditions et contexte avez-vous réalisé votre documentaire ? Ce film documentaire fou, qui m'a valu une cabale judiciaire et une mise sous mandat de dépôt, a été fait dans des conditions matérielles et surtout sécuritaires extrêmes. Après la condamnation politique de Benchicou et la disparition du journal Le Matin, qui était, rappelons-le, un journal d'opinion et a révélé de graves scandales, à l'instar de quelques autres titres d'ailleurs, ont été un pas de trop franchi par le régime de Bouteflika pour mettre une camisole de force à la liberté d'expression. Un comité de défense des libertés a été mis sur pied à la maison de la presse Tahar Djaout. C'est ainsi que certains de mes camardes journalistes de la presse, dont je faisais partie avant de virer vers la presse filmée, et des citoyens qui venaient de tous les coins du pays ont pris à bras le corps ce comité pour signifier le soutien de la société civile au journal Le Matin, à Benchicou et aux travailleurs de son organe. C'est ainsi que l'idée de faire un documentaire sur la liberté d'expression en Algérie et de traiter, par ailleurs, de tout ce qui tourne autour de ce sujet a germé. Je profite de l'occasion pour saluer Omar Belhouchet et le journal El Watan qui étaient les seuls à m'avoir un peu soutenu matériellement pour mener à bon port ce film terrible. En ces temps, la première des conditions pour faire un documentaire pareil, c'est d'avoir une bonne dose de courage et de détermination. – Comment voyez-vous l'évolution de la liberté d'expression, chèrement acquise après plusieurs combats et une décennie féroce où les journalistes étaient directement ciblés, durant le pouvoir de Bouteflika, en arrivant à la révolution du Sourire que vit pleinement le peuple depuis plus de trois mois ? La presse a toujours été le souffre-douleur des régimes dictatoriaux et même parfois des systèmes dits démocratiques. Sans la presse, le monde tournerait à l'envers et seules les populations fragiles payeraient le lourd prix. Pour l'Algérie, la presse dite indépendante a résisté face au terrorisme et surtout face aux règles liberticides du régime maffieux en place. Comme le disait Hakim Laallam dans le film : «L'Algérie a ratifié des tonnes et des tonnes de conventions mais ce n'est pas pour cela que le pays est respectueux des lois internationales.» A travers le film L'Encre de la liberté, toutes les pistes importantes ont été débroussaillées pour faire un état des lieux de la liberté de la presse en Algérie, et je vous avoue que beaucoup reste à faire malgré les acquis avérés. Le premier travail qui doit être entrepris est de procéder aux assises de la presse par les professionnels de l'information, sinon ce sera le cafouillage qui régira la corporation. Il y a trop d'improvisation dans le domaine de la presse. Le non-droit ambiant qui règne en maître aide à l'affaiblissement de la presse et à la désintéressée. Si vous avez remarqué, à titre d'exemple, j'ai évoqué l'affaire Beliardouh, le journaliste d'El Watan à Tébessa, violenté par les barons du foncier à l'est du pays et qui s'est donné la mort peu après. Cette affaire nous renseigne sur le travail qui doit être fait par les directions des journaux et les éditions pour mieux prendre en main les difficultés de ceux qui travaillent dans les profondeurs de la société, appelés les «localistes» et qui, malheureusement, ne sont pas bien protégés ni par leurs journaux ni pas les lois. Ni Bouteflika, ou du moins ce qui reste de lui à travers ses résidus qui s'accrochent encore pour défendre leurs derniers retranchements et autres biens détournés, ni même Gaïd ou ses supplétifs n'auront raison devant la détermination du peuple à aller vers sa liberté. Le régime hybride en place qui se joue de l'avenir du peuple est soutenu par une presse aux ordres qui, au demeurant est une coquille vide qui a beau vouloir faire la courbette mais qui n'atteindra jamais le cœur battant de la famille qui avance. – Ce documentaire n'est pas le premier que vous réalisez. Vous venez de sortir un nouveau film, Le Serment rebelle, qui raconte l'histoire des bandits d'honneur, notamment en Kabylie. Pourquoi vos différents films documentaires ne sont-ils pas accessibles au grand public ? Effectivement ! Je viens de finaliser un travail documentaire scientifique et historique sur l'histoire de ces personnes que l'administration coloniale a traité de bandits et de hors-la-loi. Parallèlement à ce film, il y a aussi d'autres documentaires en instance de diffusion, tel que celui sur la liberté d'expression et d'autres encore. Pour L'Encre de la liberté, il a pris part au Fifog de Genève et a été projeté dans certains campus universitaires et une fois à la Maison de la presse. J'ai contacté des chaînes de télévision pour son exploitation, mais rien n'a été fait car certains programmateurs voudraient bien le prendre à condition de le revoir de fond en comble, et j'avoue que cela représente pour moi une atteinte à la création et à la liberté d'expression que je défends dans le film. L'argent ne paye pas tout. Maintenant et à l'occasion de la révolution populaire pour un changement radical du système et du recouvrement de l'indépendance acquise, je compte faire voyager ce film pour que le monde sache et soit au courant des exactions auxquelles la presse et la société algériennes sont confrontées. Concernant mon autre documentaire Le Serment rebelle qui met à l'honneur ‘‘les bandits d'honneur'', il est tout frais et il aura son existence dans le monde de l'exploitation, des festivals et autres rencontres. Il est par ailleurs important de lancer un appel aux professionnels de la diffusion pour donner des ailes à nos œuvres en souffrances !