Rassemblement aujourd'hui à 12h à la maison de la presse “Libérez Benchicou et Ghoul !” Les professionnels des médias ne comptent pas rester, les bras croisés, face à cette nouvelle menace qui pèse sur la presse indépendante. Les animateurs du comité national pour la libération de Mohamed Benchicou et de Hafnaoui Ghoul, à savoir huit éditeurs de journaux (El Watan, El Fedjr, El Khabar, Le soir d'Algérie, Le Matin, Liberté, Akhir Saâ et l'Est Républicain), le Syndicat national des journalistes et le Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie mettent les bouchées doubles pour libérer les journalistes Mohamed Benchicou et Ghoul Hafnaoui. Toute une batterie d'actions, tant au niveau national qu'international, est prévue pour les jours à venir par le comité qui s'est réuni, hier, à la maison de la presse Tahar-Djaout. L'objectif ? Mettre un surcroît de pression sur les autorités. Aussi, un rassemblement sera tenu aujourd'hui dans cette citadelle des libertés qu'est la Maison de la presse, il sera ponctué par des prises de paroles. Des banderoles exigeant la libération des journalistes emprisonnés seront arborées. L'idée d'écrire un texte en faveur de la libération des journalistes emprisonnés pour être envoyé à la présidence est retenue. Est aussi arrêtée la décision de rédiger un mémorandum qui sera destiné à l'opinion internationale pour la sensibiliser sur la question. Une lettre sera aussi envoyée aux ligues algériennes des droits de l'homme, la LADDH de Ali Yahia Abdenour et l'institution de Farouk Ksentini. Des personnalités médiatiques étrangères, à l'image de Jean Daniel, ont été approchées hier pour les sensibiliser sur la question. Quelques correspondants de journaux en France, avec l'appui de RSF, s'emploient à organiser une conférence de presse à Paris. Un site Internet du comité sera ouvert incessamment. L'idée d'une démarche auprès des ambassadeurs des pays du G8 et des partis politiques algériens est aussi dans l'air. C'est dire que la corporation est quasi déterminée à opposer une riposte à la mesure du péril qui guette la liberté de la presse. Nombre de journalistes et directeurs de journaux ont vu dans les condamnations de Hafnaoui et de Benchicou une mise en garde contre la presse indépendante. Pour Rabah Abdellah, secrétaire général du Syndicat national des journalistes, il y a “cabale contre la presse”, et l'emprisonnement du journaliste et militant des droits de l'homme, Ghoul Hafnaoui, “a été l'enclenchement d'un processus de mise sous le billot des libertés de la presse et d'expression”. Mais son syndicat “ne faisait l'ombre d'aucun doute que le pouvoir en place allait sévir contre les voix contestataires et les plumes rebelles. À maintes reprises, l'on a officiellement affirmé une volonté liberticide”. Aussi, il estime que la corporation est interpellée pour opposer “une riposte urgente et solidaire”. Ali Ouafek, directeur de publication de Liberté, perçoit la condamnation de Benchicou “comme une menace pour la liberté d'expression et la presse indépendante. Elle est aussi un avertissement pour tous ceux qui écrivent avec une liberté de ton et une certaine irrévérence contre les pouvoirs établis”. “Franchement, je suis très très inquiet”, lâche, pour sa part, Omar Belhouchet, directeur d'El Watan. Et d'ajouter : “Manifestement, il y a tentation de remise en cause de tout ce qui a été fait depuis 90. C'est très sérieux. Il y a aujourd'hui une stratégie qui se met en place. Ce qui m'étonne personnellement, c'est la célérité avec laquelle elle est mise à exécution, deux mois seulement après la tenue de la présidentielle”. Pour lui, l'affaire des bons de caisse est “un bon argument pour le pouvoir. À dire vrai, c'est le journaliste qui est visé. La lourdeur de la peine l'explique”. L'objectif des autorités est de “jeter les bases d'une révision fondamentale du champ médiatique en Algérie”. Etant en manque d'une stratégie de sortie de crise de prendre en charge les problèmes des Algériens, elles doivent donc “empêcher les journalistes de faire leur travail”. Arab Chih Benchicou l'a dit hier à ses avocats à la prison d'El-Harrach “Nous poursuivrons le combat pour les libertés” Le directeur du Matin a paru rassuré et déterminé à continuer la lutte pour la démocratie. Selon ses avocats, il avait la mine reposée et le moral au beau fixe. “Il ne nous a pas paru abattu ou déstabilisé par la détention comme c'est le cas chez la plupart des prisonniers”. Tels sont les mots utilisés par Me Ali Meziane, l'un des avocats de la défense pour décrire l'état d'esprit de Mohamed Benchicou, le directeur de la publication du journal Le Matin, incarcéré, depuis lundi, à la prison d'El-Harrach. Sérénité et détermination à poursuivre le combat pour la défense de la liberté d'expression en Algérie. C'est aussi le même sentiment prédominant chez Mohamed Benchicou tel que perçu par l'ensemble des avocats (Mes Meziane, Bourayou, Messaoudi) qui lui ont rendu visite, hier, à la prison, tout autant que sa famille (sa mère et ses deux frères). Pas un signe de fatigue ni de faiblesse n'était perceptible chez lui après une nuit de détention. Le patron du quotidien indépendant Le Matin “n'avait pas les traits tirés, bien au contraire, il avait l'air et la mine plus reposés que le jour du procès [lundi, NDLR]”, relève Me Ali Meziane tout en précisant qu'il “avait le moral au beau fixe”. Autre signe de la bonne santé morale de Mohamed Benchicou : Contrairement à la majorité des prisonniers qui gardent le silence face à leurs avocats, le directeur du Matin a évoqué le combat pour la liberté d'expression : “Il nous a même parlé de l'impératif de la poursuite de la résistance et du combat pour les libertés en Algérie”, note encore Me Meziane tout en précisant qu'il a souligné : “nous poursuivrons le combat pour le triomphe des libertés même en prison”. Le directeur du Matin a également eu des mots rassurants à l'endroit de ses avocats. Selon Me Khaled Bourayou, il a déclaré en substance qu' “il n'y a pas que moi en prison, il y a aussi Hafnaoui”. Insistant sur le fait que le patron du Matin ait beaucoup plus parlé du cas de Hafnaoui Ghoul que de lui-même, Me Khaled Bourayou ajoutera : “il a expliqué que de toutes les façons, notre combat s'inscrit dans le cadre du triomphe des libertés et de préservation des journalistes.” Mohamed Benchicou a aussi affirmé : “La mobilisation en faveur des idéaux de liberté et de justice dans notre pays est un combat qui dépasse sa propre personne et concerne tous les algériens”, dira encore Me Bourayou. Selon de nombreuses sources, par ailleurs, le directeur du Matin a eu un bon premier contact avec son environnement carcéral. Il a même bénéficié d'une large sympathie auprès des prisonniers détenus avec lui dans la salle. Quant aux conditions de sa détention, “même s'il ne s'est pas plaint, il n'en demeure pas moins qu'il est dans des conditions qui sont celles d'une personne incarcérée et privée de sa liberté”, témoigne Me Meziane. L'appel introduit contre son jugement a constitué un autre sujet de discussion entre le directeur du Matin et ses avocats. Me Messaoudi expliquera à ce propos que “le jugement a été rendu au premier degré, nous avons introduit un appel constituant un droit de tout justiciable”. Selon la loi, l'affaire sera rejugée au niveau de la cour d'Alger dans un délai n'excédant pas un mois. Nadia Mellal Comité national pour la libération de benchicou et de Ghoul Rassemblement à midi à la maison de la presse Le comité national pour la libération de Benchicou et de Ghoul s'est réuni le mardi 15 juin 2004 à la maison de la presse Tahar-Djaout. Il a eu à évaluer la situation résultant de l'incarcération de Mohamed Benchicou, directeur du Matin. Le comité s'est, par ailleurs, attelé à déterminer un certain nombre d'actions visant à la libération immédiate de Ghoul et de Benchicou, emprisonnés, le premier depuis le 24 mai et le second depuis le 14 juin dernier. Pour le mercredi 16 juin 2004, le comité a retenu l'organisation d'un rassemblement à la maison de la presse Tahar- Djaout, à partir de 12h. Le comité lance un appel pour une participation large et massive. Alger le 15 juin 2004 Au journal Le Matin Le jour d'après “L'incarcération de Benchicou n'est pas un cas isolé, elle fait partie d'un processus de répression”, a souligné le rédacteur en chef du journal, Rachid Mokhtari. À la rédaction du Matin, la première journée (d'hier) de prison de Benchicou est une journée de mobilisation et de résistance. Très touché par la tournure de la cabale qui a mené leur directeur en taule, le collectif est décidé à mener le combat jusqu'au bout. “La première action, c'est de continuer à faire le journal comme on a l'habitude de le faire”, nous dira Katia Debouz, journaliste. “On est sonné”, ajoutera notre consoeur qui ne s'attendait pas, à l'instar de ses collègues, à un tel verdict. “C'est un coup dur pour notre directeur, sa famille et pour la corporation car, désormais, après l'emprisonnement de Hafnaoui et de Benchicou, il faut s'attendre au pire!”, s'inquiète Katia Debouz. Pour le rédacteur en chef, “l'incarcération de Benchicou n'est pas un cas isolé”. Elle fait, selon lui, partie d'un continuum de répressions qui se succèdent depuis la réélection de Abdelaziz Bouteflika. En l'espace de deux mois, souligne-t-il, on constate “une rapidité à réprimer l'expression citoyenne : le procès de Hafnaoui, celui des jeunes insurgés de T'kout qui ont écopé de 6 mois à une année de prison ferme, les arrestations en série des délégués du mouvement citoyen du sud”. Rachid Mokhtari estime que “le 8 avril a consacré la répression systémique”. Cette dernière, affirmera le rédacteur en chef du Matin, devient “un mode de gouvernance”. Pour lui, le procès de Benchicou est “éminemment politique”. Il y a près d'un mois, rappelle-t-il, Zerhouni a dit : “Benchicou va me le payer.” C'est un procès éminemment politique, parce que “Bouteflika, l'imposture algérienne, n'est pas un pamphlet, mais un travail d'investigation”. Sur l'avenir du journal, Rachid Mokhtari, défiera : “Il n'est pas question pour nous de lâcher, il n'est pas question aussi d'abandonner, en quoi que ce soit, notre ligne.” La mobilisation pour libérer Benchicou est très forte, les messages de soutiens de personnalités nationales et internationales, les lecteurs du Matin aussi. Ces derniers, indiquera le rédacteur en chef du journal, font “des propositions d'actions sur le terrain”. Parmi les soutiens qu'a eu à recevoir la famille du Matin, il y a lieu de citer ceux de Mme Fatiha Boumediene, de Abdelkader Dehbi, et de la famille de Hafnaoui Ghoul. RSF et d'autres ONG internationales, ont également réagi. La médiatrice du journal souligne qu'il y a de quoi remplir 6 pages. Saïda Azouz, une autre journaliste du quotidien, affirmera, elle aussi, que le collectif continuera le journal de la même manière. “On a le Matin à faire et on le fera”, dira-t-elle sur un ton déterminé. Son collègue, Djamel Boukrine mettra l'accent sur la mobilisation de l'équipe. “Il y a un homme en prison, tout le monde est mobilisé pour que Benchicou revienne le plus tôt possible”. Notre confrère qui assure qu'il n'y a pas de sentiment d'abattement se dit aussi convaincu que “le directeur du journal ne restera pas des mois en prison”. Tout le monde sait que le délit “bons de caisse” est un alibi, explique Djamel Boukrine qui précise que pour l'opinion publique c'est l'auteur de “Bouteflika, l'imposture algérienne qui a été arrêté”. Nadir Ben Sbaa abondera dans le même sens en qualifiant l'emprisonnement de Mohamed Benchicou d' “arbitraire”. Saïd Rabia