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«L'Algérie d'aujourd'hui à un problème de mémoire»
Hocine Redjala, réalisateur de documentaires
Publié dans El Watan le 04 - 10 - 2018

«J''ai accompagné techniquement les films Le tuteur de Mme la ministre, de Djamila Amzal, Une symphonie pour deux mémoires, de Mbarek Menad, Une vérité cachée, de Dichou, Chikh EL Hasnaoui…
– En tant que journaliste et producteur de documentaires, quel a été votre premier contact avec le monde de l'audiovisuel ?
Mon tout premier contact avec le monde de la presse filmée et de l'image remonte à 2004. Alors que j'étais correspondant de presse pour le journal l'Authentique à partir de Tizi Ouzou, du temps de Moh Achour, Saïd Tazerout, Rachid Hamdad et bien d'autres, un ami m'a appelé pour couvrir un gala au stade Oukil Ramdane, dans lequel allait se produire le défunt Matoub Lounès, gala organisé après ce qui est appelé «Accords Sifi- MCB», qui ont suivi le boycott scolaire entre le gouvernement et une aile du MCB. J'étais tout jeune mais vif et conscient de tout ce qui se passait autour de la question identitaire.
Mon premier entretien filmé était avec Lounès Matoub qui, d'ailleurs, s'est terminé avec fracas, car il soutenait l'aile qui avait négocié avec le gouvernement et la reprise du chemin de l'école en contre-partie des fameux «acquis», tels que la création du HCA.
Par ailleurs, j'ai écrit un certain nombre de commentaires pour quelques films documentaires tournés en Kabylie pour le compte d'une coopérative.
J'ai alors pris conscience de la portée de l'image pour nous et pour notre culture, qui devait bien évidemment passer par un traitement professionnel pour que nous ne soyons pas pris juste pour des éléments ludiques, étranges et quelquefois même étrangers à notre condition. J'avais compris qu'il fallait que nous fassions notre propre image.
Ce sont là les premières raisons qui m'ont poussé à aller vers l'audiovisuel. J'ai une formation dans la gestion des ressources humaines, donc dans l'économie et la gestion.
Certains de mes modules en relation avec le monde et la sociologie du travail m'ont aussi poussé à choisir cette voie pour mieux parler de nous par nous-mêmes. C'est un monde fascinant. J'ai créé en 2001 une agence de presse, dont l'activité axiale est l'image et tout ce qui a trait à l'audiovisuel.
Je venais tout juste de revenir d'Allemagne où j'ai suivi une formation dans les techniques de la presse du reportage filmique. Je note aussi que le 27 avril 2001, j'ai été blessé par balle alors que je couvrais les événements du ‘‘Printemps noir'' pour le compte de quelques journaux, dont Le Matin. Le jeune adolescent qui m'avait évacué a été tué d'une balle dans le dos, le lendemain, soit le 28 avril.
Il s'agit de Khorsi Hamza, dans la région des Ouadhias. Ce tragique événement a encore affiné ma motivation de créer une vraie entreprise professionnelle, pour montrer au monde, à travers l'image, les exactions que nous subissions et la situation intenable que vivait ma région, la Kabylie.
– Après l'«encre de la liberté», consacrée à la presse et autres films, vous travaillez actuellement sur les «bandits d'honneur et les hors-la- loi de Kabylie…»
L'entreprise que j'ai créée, avec ses moyens techniques et sa machinerie performante, a réalisé une bonne série de films de recherche et elle a surtout accompagné un bon nombre de jeunes réalisateurs sur divers projets importants.
Parmi les projets que j'ai réalisés, on retrouve, Bivouac sur le mont sacrén qui raconte les lieux importants de la montagne, L'apanage des sages, qui retrace une communauté qui a choisi la montagne comme lieu de retraite, Le Djurdjura, un pic vers le ciel, qui retrace la faune, la flore et la symbolique de cette montagne vieille de quelques millions d'années, La gardienne de la mémoire, qui narre le quotidien d'une vieille femme qui habite toute seule un village abandonné, Les engins de la mort, qui évoque avec amertume les mines antipersonnel et les villages abandonnés après les incursions terroristes, Le Printemps noir, qui traite en profondeur du crime contre l'humanité qui s'est exécuté lors des événements du printemps noir.
A ce sujet, les images sont terribles. Il y a aussi une très bonne série de films de recherche en instance de finalisation, je pense particulièrement à Tempos d'Afrique, sur les éléments préhistoriques dans la région de Kabylie.
Pour les films que j'ai accompagnés techniquement pour les comptes de certains réalisateurs, je vous citerais en exemple, Le tuteur de Mme la ministre, de Djamila Amzal, Une symphonie pour deux mémoires, de MbarekMenad, Une vérité cachée, de Dichou, Chikh EL Hasnaoui, Awhid, de Guennifi, Le labyrinthe, de Omar Amroun, etc. Un des plus marquants films documentaires d'actualité que j'ai eu l'occasion de réaliser s'intitule L'encre de la liberté, un film terrible qui met à nu la situation que vit la presse en Algérie.
Ce documentaire fait en style de carnet de voyage, prend son départ à partir de l'accaparement et de la confiscation de l'indépendance par le clan d'Oudjda à nos jours. Il est aussi articulé sur un certain nombre d'entretiens que j'ai eus avec Djilali Hadjadj, Abla Cherif, journaliste condamnée par pour avoir rapporté les cas de torture à Tkout, Belhouchet, directeur d'El Watan, Ahmed Ancer, journaliste-écrivain, Hakim Lallam, chroniqueur, Me Benarbia, avocat de Med Benchicou, et bien d'autres.
Les sujets principaux traités dans le film sont tous liés à la liberté d'expression, à commencer par l'assassinat et la disparition des journalistes, la mise à mort de quelques éditions à cause du code pénal répressif, la corruption, les disparitions forcées, le terrorisme, la concorde civile, la justice à deux vitesses, etc. Ce film m'a valu des déboires terribles avec la justice et les services de sécurité, il est actuellement en phase de finalisation d'un travail de recherche documentaire sur les bandits d'honneur et les hors-la-loi de Kabylie.
L'idée de faire un film sur le phénomène des hors-la-loi était toujours ancrée en moi, mais depuis que je me suis installé en France en 2017, où je viens de mettre sur pied une société par actions dans la recherche documentaire, la réalisation de film et l'édition phonographique, je suis en train de la concrétiser, car enfouie depuis fort longtemps. Le travail en question est une recherche sociologique et anthropologique de la Kabylie des 18e et 19e siècles. Je fais aussi un clin d'œil aux autres sociétés, chez lesquelles on retrouve ce phénomène libérateur important.
En France, il m'était possible de travailler sur des archives et de rencontrer des spécialistes de tous bords. J'ai, à titre d'exemple, travaillé avec les plus grands anthropologues spécialisés dans la culture kabyle, Alain Mahé, Benjamin, Stora, Dehbia Abrous et bien d'autres. Je travaille beaucoup sur les archives d'outre-mer, de l'immigration et la mémoire de certains témoins tels que Emile Violard et d'autres peu connus.
Depuis la colonisation du pays par la France, il y a eu de grandes histoires ayant une relation directe avec les hors-la-loi et les bandits que je suis en train de traiter. Les frères Abdoun, Arezki Lvachir, Benzelmat, Oumeri, Arezki Hadj Ali et bien d'autres sont les personnages principaux de mon film, qui est actuellement en phase de construction.
En remontant l'histoire, je fais aussi des haltes à chaque fois que cela est important. Parfois je m'attarde un peu plus, comme c'est le cas de la période d'occupation de la Kabylie, ou celle des premiers flux migratoires et de la Deuxième Guerre mondiale. J'attire aussi l'attention sur le fait qu'une grande partie de notre mémoire du 19 siècle est dans les rayons des établissements français spécialisés dans les archives.
– Avez-vous rencontré des difficultés pour recueillir des témoignages ?
Pour les témoignages, j'avoue que j'ai rencontré bien des difficultés, car les témoins oculaires ont presque tous disparu et les rares personnes qui restent ont parfois des appréhensions inavouées. C'est délicat de travailler sur la mémoire, surtout la plus récente. A ce sujet, j'ai même été contacté par une famille qui était en difficulté avec un hors-la-loi notoire dans une région de la Kabylie montagneuse.
Je souhaiterais attirer l'attention à ce propos sur le fait que mon travail sur la mémoire collective qui traite des bandits d'honneur est neutre et mon but n'est nullement de froisser qui conque et je suis conscient que les plaies sont des fois très récentes. Un avant-propos fera mention de cela au tout début du film.
– Vous venez aussi de créer une société spécialisée dans la production audiovisuelle et la réalisation des programmes destinés aux télévisions…
Effectivement, je viens tout juste de lancer une société par actions unipersonnelle, spécialisée dans la production audiovisuelle et cela en vue de combler ce terrible déficit en matière de production sérieuse dans ce domaine d'activités important et névralgique pour les cultures anciennes, conditionnées face au tumulte de la mondialisation.
Sur la place de Paris, ceux qui travaillent dans ce créneau se comptent sur les doigts d'une seule main. Je me suis dit qu'il est temps de donner naissance à une société qui va se consacrer au travail de recherche documentaire pour les générations futures. Comme je le disais tout en haut, tout est à faire en matière de recueil d'archives. Nos archives sont disséminées entre l'Italie, la Grèce, les USA, etc.
A titre d'exemple, nous avons des fragments extrêmement importants de notre mémoire collective dans les musées et les institutions historiques turcs et aucun spécialiste ni établissement de recherche ne se sont penchés sur ce sujet. Si je pouvais faire quelque chose à mon humble niveau, je le ferais avec honneur, d'où la création du RHPROD.
– Qu'est-ce que tu aimes le plus dans ton travail ?
Ce que j'aime le plus dans mon travail c'est la découverte des choses nouvelles et de réussir d'un coup le tournage d'une image.
– Et qu'est-ce que tu n'aimes pas ?
Ce que je n'aime pas ce sont les contrariétés, soit en production soit en diffusion, car un film est toujours fait pour qu'il soit vu, et avec les lobbys dans le domaine de l'art, il n'est pas toujours possible de voir sur grand écran, les images qui scandalisent et qui mettent le doigt sur ce qui ne va pas. L'Algérie d'aujourd'hui est en grave difficulté avec sa mémoire.
– Des projets en vue ?
Des projets, il y en a à en donner aux autres. L'important, c'est d'avoir le temps et les moyens de les réaliser et de les mener à bon port. A ce sujet, j'invite toute personne qui voudrait prendre attache avec moi pour un éventuel travail de me contacter sur le site rhprod.net ou via la messagerie internet.


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