Avec des témoignages forts et poignants, L'Encre de la liberté, le film documentaire de Hocine Redjala, raconte l'histoire de la presse écrire dite privée ou indépendante en Algérie. El Watan a vu le film en exclusivité pour vous. Retour sur le documentaire avec le témoignage du réalisateur. «Nous sommes abasourdis par la sévérité du verdict condamnant Mohamed Benchicou à deux ans de prison ferme. L'emprisonnement de ce dernier, dont le journal n'a pas hésité à mettre au grand jour de lourds dysfonctionnements politiques, témoigne de l'acharnement du pouvoir contre une partie de la presse. Le président Bouteflika, qui avait déjà comparé, il y a quelques mois, les journalistes à des ‘‘terroristes'' et à des ‘‘mercenaires de la plume'', poursuit aujourd'hui sa dangereuse logique de répression des libertés d'expression», dénonce Reporters sans frontières, dans son communiqué rendu public le 15 juin 2004, au lendemain de la condamnation par la justice à «deux ans de prison ferme» de l'ancien directeur du Matin, Mohamed Benchicou. C'est cette histoire que retrace le film documentaire L'Encre de la liberté, réalisé dans les années 2000, pendant la détention de Benchicou, par Hocine Redjala. Prévu pour être projeté au ciné-club du siège du Mouvement démocratique et social (MDS), le film revient sur les luttes et le combat menés par cette presse écrite dite privée ou indépendante, née des luttes démocratiques au lendemain de l'abrogation de la Constitution en 1989. Elle évolue, malheureusement, dans la douleur, et ce, malgré l'ouverture démocratique et la consécration de la liberté d'expression comme droit inaliénable dans ladite Constitution. Fruit de la révolution qui ne dit pas son nom du 5 Octobre 1988, durant laquelle des centaines de personnes ont été assassinées par le pouvoir, elle n'a jamais cessé de subir les affres d'un régime autoritaire qui refuse d'entendre cette voix libre qui dérange, comme l'explique dans ce documentaire le célèbre chroniqueur du Soir d'Algérie, Hakim Laâlam. «Ça c'est très mal passé avec certaines personnes, dont le président Bouteflika. Il n'est pas question qu'il y ait un contre-poids ou un contre-régime qui puisse dire autre chose que sa vérité à lui», confie-t-il à la caméra de Hocine Redjala. Terroristes Comparer des journalistes à des terroristes résume l'état d'esprit des détenteurs du pouvoir. Ces dictateurs qui se succèdent n'ont changé ni les pratiques ni l'arrière-pensée envers cette corporation, qui aspire à l'expression libre et lutte pour pouvoir exercer ce métier digne, dans un environnement propice et saint. Certains témoignages donnent froid dans le dos et nous plongent dans ces années noires qui ont vu beaucoup de journalistes être assassinés froidement et quotidiennement par ceux pour qui la démocratie, la liberté d'expression et les valeurs universelles sont un mot d'ordre contre la parole de «leur Allah». «Sincèrement, cela nous préoccupait énormément de voir que la liberté d'expression était considérée plus dangereuse que l'activité terroriste», s'indigne Me Khaled Bourayou, qui s'exprimait sur le sujet au début du film. Les journalistes de l'époque étaient pris entre le marteau et l'enclume. Deux ennemis d'une même monnaie les guettaient dans chaque coin de rue et hantaient leurs rêves pendant des insomnies interminables : les islamistes et le pouvoir, comme le montre le témoignage de la journaliste Abla Cherif, qui raconte ces procès judiciaires intentés contre elle par les terroristes et le ministère de la Défense. «Au moment où des terroristes qui ont violé des femmes, saccagé des biens publics et fracassé des crânes de bébés contre le mur sont libérés, des journalistes sont injustement incarcérés pour avoir dit la vérité et dénoncé des choses», témoigne Mme Aliou-Salah Zineddine dans ce film, veuve d'un journaliste assassiné par les islamistes en 1995. Des noms comme celui de Saïd Mekbel, célèbre chroniqueur du Matin, ou de l'écrivain et journaliste Tahar Djaout, dont la phrase raisonne encore sur les murs de la Maison de la presse, qui porte aujourd'hui son nom, «Et toi, si tu te tais, tu meurs. Si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs», ne seront jamais oubliés. Ce sont la mémoire et la référence des nouvelles générations. Les années qui passent ne sont qu'un temps qui s'accumule, car nous ne pouvons oublier la complicité des pouvoirs avec les ennemis de la démocratie, qui ont tourné le dos à ceux qui ont donné leur vie et leur âme pour que vivre la République. «Quand j'ai vu des assassins comme Abdelhak Layada, principale accusé dans l'assassinat de Tahar Djaout, sortir sans être condamné, je me suis senti fracassé et choqué. C'était un crime contre l'humanité», fulmine Ali Djerri, ancien responsable du quotidien arabophone El Khabar. Emprisonnement Les témoignages qu'on retrouve dans ce film documentaire sont forts et rappellent une époque, qui grade encore ses secrets mais qui livre ses batailles au grand public. On retrouve notamment les témoignages des anciens directeurs de publication Omar Belhouchet pour El Watan, Ali Djerri pour El Khabar et Ali Ouafek pour Liberté, ceux d'Ahmed Anceur, ancien journaliste et responsable à El Watan, de Djilali Hadjadj, journaliste et président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption, du président de Reporters sans frontières de l'époque, Robert Menard, ceux d'avocats, à l'image de Ali Yahia Abdennour, Khaled Bourayou, Abdellah Benarbia, le Pr Mohand Issad et Me Merzouk, qui dénonce, entre autres, Zerhouni et son époque, ainsi que ceux de Mme Fatiha Benchicou, femme de Benchicou, qui était sous les verrous au moment de la réalisation de ce film documentaire. Des témoignages poignants et francs qui se terminent avec l'image forte de l'ancien coordinateur du MDS, feu Hamid Ferhi, qui faisait partie du comité de soutien à Benchicou, décédé le 5 février dernier. L'Encre de la liberté évoque aussi les souffrances des correspondants et parle de la mort de celui d'El Watan à Tébessa, Abdelhaï Beliardouh, qui s'est donné la mort après avoir été «violenté par des barons du foncier» qu'il avait dénoncés dans les rubriques du quotidien, «L'histone de Le Matin», rayé par le pouvoir à la suite d'une série d'enquêtes sur la corruption et la détournement de fonds, notamment depuis l'emprisonnement de Benchicou et le témoignage des familles des disparus qui comptent des journalistes parmi les disparitions forcées. Rien n'a vraiment changé depuis, si ce n'est l'apparition des chaînes de télévision privées dont les plus puissantes ont été depuis leur création au service des Bouteflika et de son pouvoir. Ce sont ces mêmes chaînes qui ont fini, avec d'autres, sous la main de Gaïd Salah, qui tient les rênes du pays depuis la démission de Bouteflika. Rien n'a réellement changé si ce n'est le combat d'une partie de la corporation qui continue la lutte pour la liberté d'expression sur les traces des Mekbel, Djaout et Saïd Tazerout et d'autres. «L'Etat algérien est un Etat de non-droit. Il ne respecte ni ses propres lois internes ni même les lois internationales», dénonçait, à l'époque, Me Ali Yahia Abdennour. Liberté La presse algérienne est dans la construction comme l'est l'Etat qui ne s'est toujours pas libéré des griffes du pouvoir et des ennemis de la liberté et de la démocratie. Après Bouteflika, d'autres sont venus confisquer la révolution du peuple, durant laquelle plusieurs chaînes ont été brisées, à l'image de celles de la Radio Chaîne 3 qui s'est libérée durant le mouvement. On constate maintenant des sit-in hebdomadaires des journalistes et des travailleurs du secteur public, qui se battent pour la libération de leurs médias et pour les extraire des mains sales du pouvoir dictateur. C'est une révolution de la liberté, de la fierté, de la démocratie et de la liberté d'expression que mène le peuple, dont les journalistes tous secteurs défendus. Le quatrième mandat a aussi été dur, après que Bouteflika ait décidé de s'en prendre à tous les titres qui se sont opposés à sa candidature, dont El Watan, El Khabar et Liberté. D'autres comme ceux de Hmida Ayachi, Algérie News et Eldjazair News, ont été complètement arrêtés par les pouvoirs publics. Plusieurs organes se sont vu privés de la publicité privée, eux qui ont renoncé depuis plusieurs années à la publicité publique, c'est le cas d'El Watan. Le combat continue. La presse, celle qui aspire à la liberté et non celle qui fait de la soumission une offre de service au plus fort, résiste. L'Encre de la liberté de Hocine Redjala rappelle les consciences, raconte l'histoire et nous rafraîchit la mémoire sur les sacrifices de nos anciens. La liberté et la lutte sont les mots qui résument ce projet de qualité que nous présente le réalisateur, qui a tant souffert et payé cher pour faire ce travail, lui qui était aussi journaliste et militant de la démocratie et des causes justes.